Dans un paysage vidéoludique saturé de remakes et autres reboots, Ninja Gaiden : Ragebound (The Game Kitchen / Dotemu) surgit comme une éclaircie bienvenue. Le jeu n’est ni une suite ni un spin-off, mais une réinvention des racines 2D de la saga. Sous licence officielle de Koei Tecmo, le studio sévillan derrière Blasphemous opère une fusion entre l’ADN brutal des classiques NES et les innovations modernes.
Le retour triomphal de la légende 2D
Fondé en 2013, The Game Kitchen s’est imposé avec la saga Blasphemous, célébrée pour son pixel art macabre et son gameplay exigeant. Leur recrutement pour Ragebound n’est pas un hasard : leur expertise en animation fluide et level design punitif épouse parfaitement l’esprit de Ninja Gaiden. En partenariat avec Dotemu (maison française derrière Streets of Rage 4), ils signent ici un hommage ambitieux aux épisodes 16-bits, assumant une direction artistique qui « pourrait être l’hypothétique suite d’époque ».
L’histoire délaisse Ryu Hayabusa (départ pour les États-Unis, clin d’œil au premier Ninja Gaiden NES) pour suivre son disciple Kenji Mozu. Alors qu’il défend le village Hayabusa contre une invasion démoniaque, Kenji est vaincu par un seigneur démon. Sa survie tient à une fusion forcée avec Kumori, kunoichi du clan rival Araignée Noire. Leur quête ? Récupérer trois cristaux magiques pour briser leur lien et sauver le monde.
L’écriture repose sur une dynamique entre ses deux protagonistes : Kenji, jeune guerrier animé par un idéalisme presque naïf, et Kumori, tueuse au cynisme tranchant. Leurs échanges créent des tensions captivantes, donnant lieu à des dialogues percutants où deux visions du monde s’affrontent. Ce duo fonctionne d’autant mieux que la mise en scène adopte un rythme cinématographique soutenu. Les cutscenes stylisées façon manga, rappelant l’esthétique de Blasphemous, ponctuent efficacement le récit sans jamais ralentir le gameplay. Le tout est saupoudré de clins d’œil bien sentis, comme la traîtresse du clan Araignée Noire ou encore l’apparition furtive de Ryu en boss de tutoriel, qui raviront les amateurs du genre.
Mais derrière cette exécution solide, la trame principale reste très convenue. On retrouve une intrigue classique faite de démons millénaires, d’artefacts légendaires et de trahisons inévitables. Si l’ensemble se laisse suivre sans déplaisir, il manque parfois de surprise ou de prises de risques scénaristiques. Quant à la conclusion, elle laisse un goût d’inachevé.
La danse du sabre et du kunaï
Ragebound embrasse pleinement l’héritage du side-scroller des années 90 : une progression linéaire, un rythme nerveux et une difficulté pensée pour les joueurs en quête de maîtrise. L’objectif ne se limite pas à terminer les niveaux, il s’agit de les dominer. Obtenir le Rang S demande une exécution quasi parfaite : temps record, combos de plus de 50 enchaînements, collecte minutieuse de Crânes de Cristal et Scarabées d’Or, élimination d’au moins 70 % des ennemis et réussite de défis spécifiques comme vaincre un boss sans encaisser le moindre dégât.
Le système de combat repose sur une dualité efficace. Kenji excelle au corps-à-corps avec son katana, ses roulades directionnelles et sa capacité à escalader les murs. Kumori, plus tactique, se spécialise dans l’attaque à distance avec ses kunaïs et ses armes secondaires telles que le kama ou le chakram. Une mécanique particulièrement appréciée des joueurs est le Guillotine Jump, qui permet de rebondir sur les ennemis ou projectiles pour enchaîner les frappes aériennes et prolonger les sauts. À cela s’ajoute une possibilité bienvenue de détruire les projectiles ennemis d’un simple coup d’épée, apportant une vraie lisibilité en plein chaos.
Le système d’Hypercharge ajoute une couche d’intensité supplémentaire. En ciblant les ennemis auréolés de bleu ou de rose (selon le personnage incarné), les joueurs activent une attaque spéciale capable de percer les boucliers et d’infliger d’énormes dégâts, notamment aux boss. Cette mécanique oblige à prioriser certaines cibles en plein combat, apportant une dynamique stratégique proche des jeux d’arcade.
Kumori dispose également de Rage Arts, des techniques ultimes – soins, barrières, frappes à large portée – activées via une jauge de Ki qui se remplit en enchaînant les coups. Ces capacités offrent des moments de respiration et de puissance qui peuvent complètement inverser le cours d’un affrontement.
Enfin, le Royaume Démoniaque introduit une idée originale : Kumori peut accéder à une dimension parallèle via des autels, révélant des chemins cachés et des secrets. Cette exploration est cependant limitée par une jauge de temps qui s’épuise rapidement. Si le concept intrigue, son intégration reste trop discrète pour véritablement marquer l’expérience selon certains retours. Intéressant, mais sous-exploité.
Du pur Ninja Gaiden
Le boss design de Ragebound est un hommage direct à l’école Ninja Gaiden : brutal, stylisé, et profondément exigeant. Chaque affrontement met en scène des créatures grotesques et théâtrales, à commencer par Rhyvashi, un démon foudroyant aux attaques en arcs de plasma, ou encore Deikrag, une gargouille enflammée aux trajectoires erratiques. À mi-parcours, un boss particulièrement original transforme un bateau militaire lourdement armé en terrain de combat mouvant, entre vagues explosives et assauts de drones aériens.
Pour les vaincre, impossible de foncer tête baissée. Il faut mémoriser leurs patterns, exploiter l’Hypercharge au bon moment pour les étourdir, et exécuter des Guillotine Jumps d’une précision chirurgicale pour éviter les pièges et punir les ouvertures. Le duel final contre le Seigneur Démon, véritable climax de l’aventure, a été salué par Noisy Pixel comme “une leçon de game design”.
Sur Switch, la maniabilité ne déçoit jamais. Aucune latence d’entrée n’a été détectée, même lors des combats les plus chaotiques. Les contrôles sont épurés : le bouton B pour sauter et déclencher le Guillotine Jump, Y pour attaquer (ou lancer les kunaïs avec Kumori), X pour l’arme secondaire, et R pour effectuer une roulade d’esquive. Les Joy-Con gèrent la précision étonnamment bien pour une prise en main standard, mais le Pro Controller reste vivement recommandé en mode Difficile pour plus de confort et de réactivité.
Artistiquement, Ragebound s’impose comme un petit bijou en pixel art modernisé. Le style 16-bits d’origine est sublimé par des animations ultra-fluides : les capes ondulent dans le vent, les cheveux réagissent aux mouvements, et chaque effet visuel (flammes, foudre, auras démoniaques) est magnifié par des lumières dynamiques bien dosées.
Les environnements affichent une vraie variété d’ambiance. La forêt Hayabusa baigne dans une atmosphère mystique, avec ses bambous, lanternes et ruines shinto. Le laboratoire apporte un contraste cyberpunk avec ses néons acides et ses tubes à essai dégoulinants. Enfin, le royaume démoniaque donne dans le grotesque apocalyptique : lacs de lave, ossuaires, chairs putréfiées. Kotaku décrit la galerie de boss comme “digne de Contra Hard Corps”.
Côté animation, l’impact des coups est renforcé par un subtil screen shake et des ralentis temporaires qui donnent du poids à chaque frappe. Les caméras dynamiques lors des sauts de boss ou des transitions de phase transforment ces affrontements en véritables séquences cinématographiques. Le spectacle est total, sans jamais sacrifier la lisibilité ou la prise en main.
L’âme électrique
La bande-son de Ragebound est un véritable pilier de son identité. Composée par Sergio de Prado avec la collaboration de Keiji Yamagishi (Ninja Gaiden NES) et Ryuichi Nitta, l’OST mêle habilement shamisen traditionnels et synthétiseurs agressifs. Certains morceaux reprennent même les leitmotivs cultes de l’ère 8-bits, comme Unbreakable Determination. L’ensemble atteint des sommets lors des combats de boss, où les compositions “explosent littéralement”, selon IGN. Du côté des bruitages, chaque élément sonore est soigné : le son des katanas tranche net l’air et la chair, les Guillotine Jumps produisent un swoosh aérien ultra satisfaisant, tandis que les activations de l’Hypercharge dégagent une tension électrique perceptible.
Côté durée de vie, la campagne principale se boucle en 5 à 6 heures pour les joueurs pressés, et grimpe à 9 ou 10 heures pour ceux qui visent les collectibles et défis secondaires. Mais c’est le post-game qui renforce la valeur du titre. Le Mode Difficile reconfigure entièrement les niveaux : ennemis plus résistants, pièges inédits, disparition des checkpoints et du magasin. Game Informer salue cette refonte comme “une gifle bienvenue pour les vétérans”.
À cela s’ajoutent les Secret Ops, des niveaux bonus accessibles via des parchemins cachés. Ces stages demandent une maîtrise totale des mécaniques et poussent les compétences du joueur dans leurs retranchements. Le système de score, lui, repose sur les Talismans Challenge : ces modificateurs imposent des contraintes (comme finir un niveau sans armes) en échange de multiplicateurs de score, le tout soutenu par des classements mondiaux par niveau.
Le magasin de Muramasa devient alors un carrefour essentiel, où l’on échange les Scarabées d’Or contre plus de 30 talismans. Certains sont offensifs, comme les kunais transperçants ; d’autres défensifs, telle une fontaine de soin régénératrice. Enfin, des talismans de défi corsent les parties, comme celui qui impose un redémarrage en cas de mort, mais booste considérablement le score.
Ragebound brille avant tout par ses points forts : un gameplay millimétré, la complémentarité entre Kenji et Kumori, une Hypercharge tactique, des boss mémorables au design spectaculaire, une direction artistique en pixel art fluide et expressive, ainsi qu’une rejouabilité exemplaire. Chaque partie donne envie d’aller plus loin, de mieux scorer, de prendre plus de risques.
Mais tout n’est pas parfait. Certains talismans déséquilibrent le jeu (comme ceux qui soignent à chaque combo réussi). Les phases solos de Kumori, bien que prometteuses, sont trop rares. Le level design reste globalement linéaire, et la durée de vie de la première partie, si elle impressionne par sa densité, peut sembler courte pour un jeu vendu plein tarif.
Sur Nintendo Switch, le titre tourne comme une horloge : 30 FPS constants en mode portable et docké, chargements inférieurs à 5 secondes, résolution nette (720p en portable, 1080p docké), et aucun ralentissement, même lors des affrontements les plus intenses. L’optimisation est exemplaire.
Conclusion
Ninja Gaiden : Ragebound n’est pas qu’un exercice de nostalgie. C’est une déclaration de maîtrise, un manifeste du gameplay pur qui parvient à réconcilier la brutalité de la saga originale avec des standards modernes sans perdre une once de son identité. The Game Kitchen prouve une nouvelle fois son savoir-faire en matière de pixel art précis, de level design exigeant et de système de jeu profond. Tout repose ici sur l’alchimie entre Kenji et Kumori, un duo charismatique qui fusionne combat rapproché, techniques à distance, et acrobaties millimétrées. L’Hypercharge pousse à la prise de risques stratégiques, tandis que le Guillotine Jump transforme chaque affrontement en un ballet aérien tendu et viscéral. La sensation de contrôle est totale, chaque coup compte, chaque esquive sauve ou condamne. Certes, la campagne principale se boucle un peu vite, et certains talismans déséquilibrent l’expérience en facilitant trop certains défis. Mais ces défauts sont éclipsés par une rejouabilité infernale, notamment grâce au Mode Difficile et aux Secret Ops taillés pour les joueurs en quête de maîtrise. Ragebound dépasse le simple hommage. Il s’impose comme une référence moderne du genre action-plateforme, un jeu qui ne se contente pas d’honorer Ninja Gaiden, mais qui reprend le flambeau pour le faire briller à nouveau. C’est nerveux, beau, exigeant, et impossible à lâcher. Pour tout amateur de défi et d’adrénaline, c’est un indispensable.
LES PLUS
- Gameplay fluide et ultra-réactif
- Mécaniques innovantes
- Direction artistique sublime
- OST électrisante
- Boss épiques
- Rejouabilité exceptionnelle
- Optimisation Switch parfaite
- Duo protagoniste charismatique : Chimie Kenji / Kumori
LES MOINS
- Durée de vie courte en ligne droite (5-6h)
- Équipements déséquilibrés
- Phases "Royaume Démoniaque" anecdotiques
- Level design parfois répétitif
- Kumori sous-utilisée
- Fin abrupte
- Courbe d'apprentissage raide pour les débutants









