Parfois, l’exhumation d’un classique cultissime se transforme en une véritable archéologie du désastre. Après l’Édition Spéciale plutôt bien accueillie du premier Tomba! en 2023, les espoirs étaient permis pour voir son successeur, Tombi! 2: The Evil Swine Return Special Edition, bénéficier du même traitement affectueux. Hélas, force est de constater que cette Édition Spéciale sur Nintendo Switch 2 ressemble moins à une restauration soignée qu’à un émulateur mal dégrossi, jetant une ombre sur les qualités intrinsèques, pourtant bien réelles, de ce jeu atypique de la PlayStation. Retour sur un portage qui peine à convaincre.
Une quête personnelle dans un monde maudit
Pour comprendre Tombi! 2, il faut revenir à son créateur : Whoopee Camp. Fondé par Tokuro Fujiwara, un vétéran de Capcom (connu pour Ghosts’n Goblins), le studio n’aura existé que le temps de créer deux jeux. Le premier Tomba! (1997) était un ovni : un mélange de plateforme 2.5D, d’aventure à la Zelda et de quêtes multiples dans un monde ouvert dense. Acclamé par la critique mais boudé par les ventes, il devint culte. Le succès d’estime poussa Sony à financer une suite, Tombi! 2: The Evil Swine Return Special Edition (1999 en Japon, 2000 en Occident). Malgré des ambitions évidentes, le jeu subit le même sort commercial, entraînant la disparition de Whoopee Camp peu après. Cette Édition Spéciale, publiée par Limited Run Games, devait être sa réhabilitation. Le résultat est en demi-teinte.
L’histoire reprend là où le premier opus s’était arrêté. Tomba, notre héros aux cheveux roses, reçoit une lettre de sa petite amie Tabby, apparemment kidnappée. Accompagné de ses acolytes Charles et Zippo, il traverse l’océan pour la secourir. Il découvre rapidement que les Cochons Maléfiques sont de retour et ont jeté une malédiction sur diverses régions d’un nouveau continent. Le but est simple : capturer les cochons, lever les malédictions, et retrouver Tabby. Si la trame est un prétexte classique, elle sert avant tout de fil conducteur à une exploration riche en rencontres, personnages hauts en couleur et quêtes secondaires farfelues. C’est le charme et l’humour de cet univers qui portent le récit, bien plus que son scénario principal.
Un gameplay hybride, entre plateforme et aventure
C’est là que réside la plus grande force de Tombi! 2. Le jeu opère une transition totale vers la 3D, abandonnant les sprites du premier opus pour des modèles polygonaux. Pourtant, il conserve une âme de jeu 2.5D. Tomba se déplace principalement sur des plans en 2D, avec des points précis lui permettant de passer au premier ou à l’arrière-plan. La caméra, plus mobile, permet des designs de niveau ingénieux, comme dans la Zone des Tuyaux où l’on marche sur des conduites de vapeur qui s’entrecroisent.
L’accent est davantage mis sur l’exploration et les quêtes que sur le pur plateforme difficile. Le monde est découpé en petites zones denses (une plage, un village de pêcheurs, une mine…) que l’on revisite constamment au fil des nouvelles capacités et objets obtenus. La structure de quêtes (137 missions au total) est le cœur du jeu. On récupère des « Événements » en parlant aux PNJ ou en explorant, créant une liste d’objectifs à accomplir. Cela va de rapporter un objet à une personne, à résoudre une énigme environnementale. Cette mécanique, très en avance sur son temps, offre un sentiment de liberté et de découverte permanent. Le jeu est non-linéaire et récompense la curiosité.
On obtient divers outils (un marteau de feu pour faire fondre la glace, un boomerang de glace pour éteindre les flammes) et des costumes d’animaux conférant des capacités spéciales comme le vol plané. Le combat reste basique : sauter sur un ennemi pour l’attraper, puis le lancer. Malheureusement, c’est aussi là que le bât blesse.
Une maniabilité rigide et punitive
Si l’idée est bonne, l’exécution pêche sévèrement. Les contrôles de Tomba! 2 ont toujours été son point noir, et l’Édition Spéciale ne change strictement rien. La physique de Tomba est décrite comme « bancale », « lourde » et « trop légère » à la fois. Le saut manque de précision, l’accrochage aux plates-formes est capricieux, et les hitbox des ennemis sont imprécises. Certaines séquences, comme un passage en chariot de mine ou des phases de plateforme précises, deviennent frustrantes à cause de ces lacunes.
Les sauvegardes à tout moment et la fonctionnalité de retour arrière (rewind) ajoutées dans cette édition sont une bénédiction pour atténuer cette difficulté artificielle. Cependant, le fait que le rewind soit caché (indiqué seulement sur un écran « Comment jouer » au démarrage) et non mentionné dans le menu d’émulation est un choix discutable. L’absence de cartes et le journal de quêtes peu informatif (qui ne liste que les noms des événements, pas les objectifs) peuvent également mener à une sensation de perte.
Une partie sonore désastreuse
Le portage semble avoir nettement dégradé la qualité audio par rapport à la version PS1 originale. Le jeu impose par défaut la bande-son japonaise originale, sans aucune option pour en changer, alors même qu’elle diffère de la version occidentale et est largement jugée inférieure, moins mélodique et plus agaçante. Le problème est aggravé par un manque flagrant de cohérence, certaines cinématiques utilisant malgré tout les thèmes occidentaux.
Les doublages souffrent également d’une forte dégradation. Les voix anglaises, déjà connues pour leur interprétation amateure, avec notamment des hommes doublant des personnages féminins, sont ici excessivement compressées. Le rendu devient métallique, peu clair, et un bourdonnement parasite est même perceptible sur certaines répliques.
Le mixage audio pose aussi de sérieux problèmes. La musique prend régulièrement le dessus sur les dialogues, rendant ces derniers difficiles à comprendre. Le cas le plus extrême reste le thème musical répétitif, jugé particulièrement désagréable, qui se déclenche à chaque interaction avec un PNJ et devient rapidement insupportable à l’écoute.
Enfin, les options audios ont purement et simplement disparu. Le menu original permettait d’ajuster les volumes, la vitesse d’affichage du texte ou encore de désactiver les voix. Toutes ces possibilités ont été supprimées dans cette édition, rendant tout réglage impossible. Une décision difficilement justifiable.
Des graphismes d’époque, mal mis en valeur
Visuellement, le jeu passe intégralement en 3D basse polygones. Si le charme artistique et la direction créative des niveaux restent appréciables, le saut depuis les sprites 2D du premier jeu est rude. Les animations sont saccadées (le jeu tourne à 30 ips contre 60 pour le premier) et les textures sont très grossières.
L’Édition Spéciale offre quelques options d’affichage : différents facteurs de zoom, un filtre CRT de mauvaise qualité qui ternit l’image, et des bordures décoratives. Il n’y a aucun véritable embellissement : pas de rendu en widescreen correct (seulement un étirement), pas d’amélioration des textures ou des modèles. Certains effets visuels, comme la transition des arènes de boss, ne fonctionnent plus. C’est une émulation brute, sans amour.
Le jeu principal propose une durée de vie comprise entre 10 et 15 heures pour une complétion à 100 %. Sa structure dense et son système de quêtes assurent une rejouabilité appréciable pour les joueurs souhaitant tout explorer.
En revanche, le contenu « spécial » de cette édition se révèle particulièrement minimaliste et décevant lorsqu’on le compare à celui du premier Tomba!. Le musée se limite à des illustrations conceptuelles, des rendus 3D, des photos de produits dérivés et des scans de manuels, sans la moindre interview vidéo des développeurs, pourtant présente dans la première Édition Spéciale. Le lecteur de musique reprend l’interface fleurie du premier jeu, un choix esthétique en total décalage avec l’identité de Tomba! 2, et se contente de permettre l’écoute des pistes audio. Le jeu propose six langues pour les textes, mais chaque version est isolée, sans possibilité de changement à la volée.
Enfin, une décision particulièrement maladroite concerne la fonction de transfert de sauvegarde. Le système original, qui permettait d’importer une sauvegarde du premier jeu pour débloquer des personnages et des quêtes supplémentaires, devient ici inutile. Ces éléments sont activés automatiquement dès le début de l’aventure, perturbant la progression telle qu’elle avait été conçue à l’origine.
Conclusion
Tombi! 2: The Evil Swine Return Special Edition reste un jeu audacieux, inventif et profondément charmant. Sa structure de quêtes en monde ouvert dense, son humour et son univers unique méritent toujours d’être expérimentés. C’est une pièce fascinante de l’histoire du jeu vidéo. Malheureusement, cette Édition Spéciale est un portage bâclé. Entre la bande-son japonaise imposée, la qualité audio dégradée, les options supprimées, les contrôles toujours aussi rigides et le contenu bonus anémique, on a l’impression d’avoir affaire à un émulateur mal configuré plutôt qu’à une célébration méritée. Les fonctionnalités de rewind et de sauvegarde à tout moment sont les seuls véritables ajouts positifs.
LES PLUS
- Structure de jeu unique, mélangeant plateforme 2.5D et quêtes d'aventure
- Monde charmant, coloré et rempli de personnalité
- Système de quêtes très complet (137 missions)
- Fonctionnalités modernes pratiques : retour arrière (rewind) et sauvegarde à tout moment
- Durée de vie correcte pour un complétionniste
LES MOINS
- Portage technique bâclé
- Bande-son japonaise inférieure imposée par défaut
- Suppression du menu des options original (réglage volume, vitesse texte, etc.)
- Qualité audio dégradée : voix compressées, mixage déséquilibré
- Maniabilité rigide, imprécise et souvent frustrante
- Graphismes bruts sans embellissement, filtres CRT médiocres
- Contenu bonus moins fourni que pour la première Édition Spéciale
- Certains effets visuels originaux ne fonctionnent plus








