Dans l’effervescence actuelle du renouveau des JRPG indépendants – portée par des titres acclamés comme Sea of Stars, Chained Echoes ou encore Clair Obscur: Expedition 33 – émerger relève du parcours du combattant pour les petits studios. C’est pourtant le défi que s’est lancé Decafesoft, un développeur solo japonais nourri aux classiques des années 90, avec Starlight Legacy. Édité par Eastasiasoft et désormais disponible sur Nintendo Switch après une sortie initiale sur PC, ce jeu promet un voyage old-school aux accents de Final Fantasy et de Pokémon. Mais derrière cette déclaration d’amour au genre, se cache-t-il une aventure captivante ou un exercice de style trop convenu ? Plongeon dans le royaume d’Evaria.
Un scénario classique aux fondations fragiles
Le royaume d’Evaria repose depuis des siècles sur la bienveillance silencieuse de l’Arbre d’Éternité, un colosse végétal sacré garant de l’équilibre des éléments et de la prospérité des quatre provinces. Cet équilibre précaire est rompu par un décret royal radical : l’interdiction de l’enseignement de la magie. Cette décision, vivement contestée par le peuple du Ciel, attise les braises d’un séparatisme menaçant l’unité du royaume. C’est dans ce climat de tension croissante que deux guerriers, Ignus et Teryl, se voient confier une mission anodine : la livraison d’une épée commandée par le roi. La routine bascule tragiquement lorsqu’une attaque mystérieuse frappe le cœur du royaume, flétrissant l’Arbre d’Éternité et précipitant Evaria dans le chaos. Leur quête devient alors une course contre la montre : parcourir un monde déchiré, affronter ses périls et retrouver les reliques Starlight, seules capables de restaurer l’Arbre et de sauver Evaria.
Si le cadre narratif puise avec évidence dans les grands mythes du JRPG (la quête de reliques, l’arbre-monde en péril, la rébellion contre l’autorité), son exécution peine à convaincre. La passion de Decafesoft pour les récits d’heroic fantasy est palpable, mais elle se heurte à une maîtrise narrative maladroite. Les retournements de situation, au lieu de surprendre, tombent souvent comme des évidences, privant l’intrigue de son suspense. La progression du scénario est excessivement linéaire et prévisible, transformant ce qui aurait pu être une épopée en un défilé de poncifs du genre. Les tentatives d’humour, bien que parsemées de clins d’œil reconnaissables aux classiques, manquent cruellement de finesse et d’à-propos, tombant souvent à plat. Le personnage du roi lui-même, censé incarner l’autorité suprême, manque de consistance, semblant improviser ses décisions au gré des événements plutôt que d’agir en souverain stratège. Les protagonistes, Ignus le guerrier réticent, Teryl le loyaliste idéaliste et Frida la marchande combattante, restent trop en surface, leur potentiel de développement (comme les voyages de Frida entre les royaumes) étant largement sous-exploité. L’écriture, bien que fonctionnelle, ne trouve jamais le ton juste pour transcender ses inspirations.
La nostalgie en mode automatique
Starlight Legacy mise résolument sur une formule éprouvée, déclinée en deux piliers : l’exploration et le combat tour par tour.
L’exploration s’inspire ouvertement des premiers Pokémon : un monde interconnecté où villes et routes forment un tout continu, sans écrans de chargement disgracieux. La progression est rythmée par l’acquisition de capacités ouvrant de nouvelles zones : briser des rochers, naviguer sur les rivières avec un radeau, ou survoler le monde grâce à un tapis volant (ou un dragon, offrant une vue pseudo-3D « Mode 7 » rappelant les RPG SNES, une touche visuelle appréciable). Théoriquement, ces outils permettent de revenir sur ses pas pour dénicher des trésors cachés. En pratique, le level design se révèle très balisé et pauvre en surprises. Les secrets sont à peine dissimulés, repérables au premier coup d’œil, annihilant tout sentiment de réelle découverte ou de récompense méritée. Les retours en arrière deviennent alors des longs détours fastidieux, semés de zigzags interminables et de rencontres aléatoires répétitives. L’exploration, cœur de nombreux classiques, se transforme ici en un processus automatique et peu engageant.
Le système de combat, clairement inspiré des premiers Final Fantasy (I & II), est du tour-par-tour le plus classique. Chaque personnage agit selon son tour, avec des options basiques : attaquer, utiliser un objet, lancer un sort (acheté en boutique, autre rappel old-school). Seul Frida introduit une mécanique notable : vaincre un monstre permet de l’invoquer ultérieurement pour une attaque unique, une idée intéressante mais isolée. Ignus et Teryl manquent cruellement de personnalité ludique ; leurs compétences sont quasi interchangeables, rendant les combats rapidement répétitifs. La seule couche stratégique significative réside dans le système élémentaire : chaque personnage se voit attribuer un type (feu, glace, terre…), influençant ses dégâts et ses faiblesses. Bien que prometteur, ce système est sous-exploité. Chaque continent correspond à un biome élémentaire unique, rendant les rencontres et leurs faiblesses largement prévisibles. La difficulté repose davantage sur l’augmentation du nombre d’ennemis ou de leurs PV que sur des défis tactiques profonds. La jauge de Rage, se remplissant en combat pour offrir un boost temporaire de puissance, ajoute une option mais ne révolutionne pas un système manquant de mordant. La progression des personnages est entièrement linéaire : les compétences s’apprennent automatiquement au niveau supérieur, et le choix des sorts équipables (limités à 4 par personnage) reste l’unique semblant de personnalisation, loin de la flexibilité offerte par les « jobs » de certains concurrents modernes.
Le poids des absences
La transition sur Nintendo Switch est techniquement correcte : pas de ralentissement notable, temps de chargement acceptables. Cependant, le jeu pêche par un manque criant d’options de qualité de vie modernes. L’absence de sauvegarde automatique est un anachronisme gênant, obligeant à des sauvegardes manuantes fréquentes hors combat. Le taux de rencontres aléatoires, bien que désactivable, est jugé trop élevé par défaut, cassant le rythme de l’exploration et rendant les retours en arrière pénibles ; l’absence d’option intermédiaire (comme un taux réduit) est regrettable. L’inventaire est mal organisé, l’option de tri étant manuelle et peu pratique. L’obligation de maintenir un bouton pour courir fatigue inutilement le pouce. Le jeu mise sur une approche « SaGa » (peu ou pas de tutoriels, découverte par soi-même), ce qui peut être vertueux mais devient frustrant lorsque des mécaniques cruciales (comme cibler tous les ennemis avec un sort) ne sont pas intuitives et ne sont jamais expliquées.
Entre familiarité et manque d’âme
Visuellement, Starlight Legacy adopte un style pixel art 16 bits aux couleurs vibrantes, typique du renouveau rétro. Si l’ensemble est cohérent dans un style médiéval-fantastique, il peine à forger une identité propre. La ressemblance avec les premiers jeux Pokémon est frappante, voire troublante : les sprites des personnages masculins, en particulier les protagonistes, semblent directement inspirés de modèles comme Régis (le rival), avec des variations mineures (couleur de cheveux, yeux). Certains environnements et assets renforcent cette impression de « fan game » plus que de création originale. Le bestiaire manque de variété, contribuant à la monotonie visuelle. Les artworks promotionnels (site officiel, page Steam) sont jugés génériques et ne donnent pas envie. Quelques designs d’ennemis plus créatifs émergent, mais ils demandent de persévérer dans un jeu dont la première impression visuelle n’est pas des plus accrocheuses.
La bande-sonore constitue un point plus positif, bien que non exempt de critique. Les compositions, puisant dans différents genres, collent efficacement aux ambiances et situations (ville, combat, boss, voyage). Elles auraient leur place dans un JRPG classique sans déparer. Certains thèmes possèdent même des mélodies accrocheuses qui restent en tête. Cependant, aucune ne se hisse au rang des OST mémorables du genre. Le tempo général est souvent posé, même dans les thèmes de combat, manquant parfois de l’énergie ou de l’épique qui marque les esprits. Elle remplit son rôle sans le transcender.
Un voyage (trop) rapide
L’aventure principale de Starlight Legacy se boucle en moyenne entre 9 et 12 heures, une durée relativement courte pour un JRPG, même de facture old school. Cette brièveté est accentuée par la pauvreté du contenu annexe. Les quêtes secondaires sont rares, voire inexistantes, et ne viennent pas enrichir l’univers ou les personnages. Une fois l’histoire terminée, il n’y a guère de raison de revenir dans Evaria, si ce n’est pour un éventuel achievement hunting ou la découverte de quelques rares secrets manqués. La structure non-linéaire (choix de l’ordre des continents) offre une légère variation, et le niveau des ennemis semble s’adapter au vôtre, mais cela ne suffit pas à garantir une réelle rejouabilité.
Starlight Legacy est disponible à treize euros sur l’eShop.
Conclusion
90. Cette passion transparaît à chaque écran, dans ses références appuyées à Final Fantasy, Pokémon ou Golden Sun, et dans son désir de reproduire une formule éprouvée. Cependant, la passion ne suffit pas à faire un grand jeu. Malgré quelques bonnes idées (le système d’invocation de Frida, la vue "Mode 7" en vol, une bande-son correcte), Starlight Legacy pêche par son manque flagrant d’originalité et de maîtrise dans l’exécution. Le scénario, bien que campé sur une base classique solide, est rendu prévisible et maladroit par des personnages sous-développés, des twists évidents et une écriture qui peine à trouver sa voix. Le gameplay tourne rapidement en rond, prisonnier de son classicisme trop littéral et de mécaniques tactiques (système élémentaire, Rage) insuffisamment exploitées pour offrir une vraie profondeur. L’exploration est desservie par un level design sans surprise et des retours en arrière fastidieux. La direction artistique, trop proche de ses inspirations (notamment Pokémon), manque cruellement d’identité propre. Les options de qualité de vie essentielles font défaut, alourdissant inutilement l’expérience sur Switch. À un prix modeste (autour de 15-20€), Starlight Legacy pourrait tenter les fans les plus inconditionnels du JRPG rétro, prêts à pardonner ses défauts pour une courte dose de nostalgie pure. Cependant, dans un paysage indé déjà riche en titres bien plus ambitieux, aboutis et inventifs comme Chained Echoes (qui modernise brillamment le tour-par-tour) ou Sea of Stars (au visuel sublime et au combat dynamique), il est difficile de le recommander. Ces derniers démontrent qu’il est possible de rendre hommage aux classiques tout en apportant une réelle valeur ajoutée et une maîtrise artistique et technique bien supérieure. Starlight Legacy reste un premier pas honorable mais maladroit d’un développeur solo, dont on espère qu’il saura affiner son talent et forger une identité plus personnelle dans de futures créations. Pour celui-ci, le voyage s’arrête à une curiosité pour initiés tolérants.
LES PLUS
- Hommage fidèle aux JRPGs 16 bits
- Vue "Mode 7" en vol
- Système d’invocation de Frida
- Adaptation dynamique des niveaux ennemis
- Bande-son cohérente et thèmes accrocheurs
- Prix modeste
LES MOINS
- Direction artistique sans identité
- Scénario prévisible et personnages sous-développés
- Gameplay trop classique
- Level design linéaire
- Options de qualité de vie absentes
- Taux de rencontres aléatoires excessif
- Bestiaire limité et OST oubliable
- Inventaire mal organisé
- Rejouabilité quasi-nulle








