Fading Afternoon, troisième œuvre du studio Yeo, fait indéniablement partie de ces jeux indépendants qui parviennent à se démarquer, non pas par un budget colossal mais bel et bien par leur ambition artistique et leur approche d’un genre. Loin des superproductions, ce jeu en pixel art 2D est le fruit d’une démarche audacieuse, combinant l’esthétique et les combats d’un beat’em up rétro avec les éléments d’une simulation de vie exigeante et une narration cryptique. Il s’adresse à un public de niche, prêt à s’investir et à faire preuve de patience pour en saisir toutes les subtilités. Si les précédents titres du studio, The Friends of Ringo Ishikawa et Arrest of a Stone Buddha, ont proposé des thèmes ou une esthétique similaire, Fading Afternoon se présente comme leur aboutissement, une expérience plus mature et raffinée.
Un destin tragique
Fading Afternoon nous plonge dans la vie de Seiji Maruyama, un Yakuza vieillissant et respecté de la famille du crime Azuma, qui vient de sortir de prison. Le destin de Seiji est sombre : il est gravement malade et le temps qui lui reste est compté.
Le jeu ne s’embarrasse pas de longs dialogues introductifs. L’histoire est volontairement fragmentée, distillée à travers de rares échanges avec des personnages clés – son chef, une infirmière d’hôpital, ou ses vieux compagnons.
Cette approche est à la fois une force et une faiblesse. D’un côté, elle renforce l’immersion en laissant le joueur combler les vides, mais de l’autre, elle peut être déroutante au départ, car on ne sait pas qui est qui ni où l’on va.
L’objectif de Seiji est clair : redonner à son clan sa gloire d’antan. Cependant, le joueur est totalement libre de choisir comment il va passer les derniers jours de sa vie. C’est le cœur de la narration. Chaque action, chaque choix, chaque échec et chaque succès façonne son histoire.
Que vous choisissiez d’honorer votre clan, de vous laisser aller à la dépression, ou de dilapider votre argent dans les plaisirs de la vie, le chemin sera différent, menant à une des huit fins possibles. Le récit est profond, mature, et aborde des thèmes sombres comme la maladie, la perte, la solitude et la violence, le tout enveloppé d’une mélancolie qui n’est pas sans rappeler l’ambiance des films de Takeshi Kitano.
Dualité et liberté
Nous avons des petits relents de Shenmue avec ce titre. Le jeu se divise en deux parties distinctes qui s’entremêlent avec une grande subtilité : une simulation de vie quotidienne et un système de combat brutal et percutant. Au quotidien, vous gérez la vie de Seiji. Chaque matin, vous partez de votre chambre d’hôtel (ou d’un banc public si vous n’avez pas payé votre loyer) pour vous déplacer sur une carte de la ville inspirée d’Osaka.
Chaque déplacement prend du temps. Vous pouvez vous rendre dans les différents quartiers, entrer dans les boutiques, les bars, les salons de massage ou les hôpitaux. Ces activités vous permettent de gérer vos besoins (rasage, santé, repos) et de découvrir des mini-jeux et des opportunités narratives. Cette composante de gestion du temps est essentielle, car chaque action a un coût, qu’il soit financier ou temporel.
La deuxième facette du jeu est le combat. Le système est basé sur deux boutons simples (poing et pied), mais s’il parait limité, il est aussi d’une profondeur insoupçonnée. Les coups peuvent être combinés, les esquives se font en maintenant le bouton de frappe enfoncé, et il est possible de parer, de saisir, de projeter, de briser des membres et même d’arracher les armes de vos adversaires pour les utiliser contre eux.
Les combats sont d’une brutalité saisissante et visuellement sanglants, avec une animation de haute qualité. La fluidité des mouvements de Seiji est impressionnante, reflétant son statut de combattant expérimenté, et le savoir-faire du studio dans les animations pixel art. Nous avons tout de même pu noter de petites latences d’input en combat, rien de rédhibitoire mais tout de même à signaler.
Le jeu peut être impitoyable et ne vous prend jamais par la main. L’interface utilisateur est minimaliste, ne donnant que peu d’indications sur votre état de santé ou votre argent. C’est à vous d’expérimenter et de découvrir par vous-mêmes les mécaniques, ce qui peut être un peu frustrant au début mais rend la progression d’autant plus gratifiante à mesure que vous progressez dans le jeu. Et puis qui a dit que la vie de Yakuza était facile, hein ?!
Le pixel perfect
Les graphismes de Fading Afternoon sont une réussite totale. Le style pixel art 2D est un hommage sublime aux jeux rétro, mais avec une attention du détail qui va bien au-delà de la simple nostalgie. Les décors sont magnifiques, dignes des meilleurs titres de la Super Nintendo, et la ville d’Osaka est rendue vivante grâce à une palette de couleurs qui change au fil du cycle jour/nuit et des différentes conditions météorologiques.
Les animations des personnages sont fluides et pleines de personnalité, que Seiji fume une cigarette, déambule dans la rue ou se bat, c’est un véritable régal visuel. L’esthétique est un élément clé de l’immersion, rendant le monde crédible et incroyablement vivant.
Fading Afternoon est un jeu qui encourage la rejouabilité. Un « run » typique dure entre 4 et 6 heures, mais pour voir toutes les fins, découvrir tous les secrets et expérimenter les différentes ramifications narratives, il faudra de nombreuses heures d’investissement personnel.
Le jeu est riche en détails : la possibilité d’acheter une voiture, de se faire un appartement, de personnaliser l’apparence de Seiji avec des lunettes de soleil et des vestes, ou de découvrir de nouveaux mini-jeux. Bien que les combats puissent devenir répétitifs à la longue, la liberté de l’expérience et la variété des activités quotidiennes permettent de souffler et de changer d’air.
Du côté de la bande-son, c’est encore une fois une bonne pioche avec une proposition jazzy aux quelques accents de funk par endroits, pour vous baigner dans cette ambiance Yakuza des années 80, et vous accompagner dans cette aventure. Toutefois, la musique fonctionne bien mieux sur la partie simulation de vie, que sur la partie combat, où elle trouve moins sa place.
Fading Afternoon est disponible depuis le 6 juin 2024 sur l’eShop au prix de 19,99 euros, en français.
Conclusion
Fading Afternoon est un jeu atypique qui ne plaira pas à tout le monde. Son manque de clarté initial, son interface minimaliste et son approche singulière du récit demandent un investissement personnel certain. Cependant, pour ceux qui sont prêts à se laisser porter par cette expérience, le jeu est une véritable pépite. Croisement entre simulation de vie et beat’em up, le jeu offre un système de combat dynamique malgré la limite de ses deux boutons, et propose une narration subtile et émouvante. C'est une œuvre d'art brute, un jeu qui se vit plus qu'il ne se joue, et dont les thèmes profonds résonnent longtemps après que l'on ait éteint sa console. C'est un titre plein de charme, d'ambition et de personnalité, et avec sa non linéarité et ses fins différentes, aucun doute que vous replongerez avec plaisir dans l’aventure pour toutes les découvrir.
LES PLUS
- Un pixel art magnifique et des animations fluides
- Une ambiance sonore top pour les passages simulation de vie…
- Un système de combat à la fois simple et profond
- Le mélange entre simulation de vie quotidienne et combats
- Une histoire mature, complexe et non linéaire qui encourage la rejouabilité et l'exploration
- Plusieurs fins différentes
LES MOINS
- Manque d'indications au début et ne donne pas assez d'informations au joueur
- L'interface est minimaliste et peut être un peu difficile à comprendre
- Le combat peut devenir un peu répétitif à la longue
- … Mais qui n’a pas toute sa place en combat









