Inconnu sur la console hybride de Nintendo, cela fait pourtant trois ans que le RPG tactique Lost Eidolons, par Ocean Drive Studio, est sorti. Avec un accueil plutôt positif, ce premier titre rappelait par certains aspects la série Fire Emblem avec une direction artistique plus occidentale. C’est maintenant au tour de Lost Eidolons: Veil of the Witch, un spin-off reprenant les fondations du gameplay tactique de l’œuvre précédente, en y ajoutant une dimension roguelike, de voir le jour. Toujours développé par Ocean Drive Studio et édité par Kakao Games, le titre arrive sur Nintendo Switch, promettant une aventure addictive où la mort n’est qu’une étape vers la véritable puissance. Voyons si le jeu parviendra à transformer l’essai et s’inscrire comme une licence à retenir dans les mémoires.
Un récit centré sur les héros
L’aventure démarre par le naufrage du bateau sur lequel vous voyagez, et par la mort de votre héros. Pas de bol, vous n’aviez pas encore pris la manette en main que le jeu vous en veut déjà. Pas de panique, tout est prévu. On vous propose rapidement de choisir d’incarner votre personnage, homme ou femme – un choix qui n’affecte pas l’histoire globale – qui se réveille amnésique sur une île.
Vous allez y rencontrez Sable, la Sorcière des Brumes, une Eidolon, qui vous offre l’opportunité de revenir parmi les vivants. Bonne nouvelle donc ! Mais dès votre retour, vous êtes confronté à la réalité de cette île : une terre brisée, infestée de morts-vivants et de soldats Impériaux. Le mal s’y est propagé au point que tous les navires ont été détruits pour empêcher la contagion d’atteindre le continent. Vous et les quelques survivants êtes piégés.
Votre quête prend alors tout son sens : vous devez retrouver la mémoire, comprendre l’origine du « voile » qui couvre l’île et trouver un moyen de vous échapper. Après un rapide tuto de prise en main sur un premier combat, votre équipe initiale est rapidement formée de personnages charismatiques : la prêtresse Evie, le marin Marco, le mage avide de connaissances Laurent, et l’ancien mercenaire Emile. Ces personnages ne sont pas de simples pions. Le jeu accorde une grande importance à la narration centrée sur les protagonistes.
Le récit se déploie entre les expéditions, au Quartier Général, où vous interagissez avec vos alliés pour renforcer vos Affinités (ou « Points de Partenariat »). Ces dialogues sont cruciaux, non seulement pour le lore (l’histoire des Eidolons et la guerre passée) et le développement de la personnalité de chacun, mais aussi pour le gameplay (débloquer de nouvelles classes pour le héros principal ou obtenir des effets uniques en combat). La qualité de l’écriture et de sa traduction en français est un point fort notable, rendant l’attachement à l’équipe, immédiat et viscéral.
Le scénario principal est bien ficelé et sert de motivation constante, mais ce sont les histoires personnelles des différents membres de votre équipe qui captivent le plus. Bien que la boucle roguelike, et les morts régulières mènent à la répétition de certains dialogues initiaux au fil des runs.
Entre exigence et progression
Le cœur de Lost Eidolons: Veil of the Witch réside dans son équilibre entre la stratégie classique du tactical RPG et la progression permanente du Roguelike. Le jeu fonctionne par expéditions, qui sont des parcours linéaires divisés en étapes. À chaque étape, vous choisissez votre voie sur une carte à chemins multiples, optant pour un événement de combat, une boutique, ou une rencontre narrative/aléatoire. Pour les habitués du genre roguelike, rien de neuf sous le soleil : c’est très intuitif, et cette mécanique est maintenant bien ancrée dans l’esprit des joueurs depuis Slay the Spire ou Hades – pour ne citer qu’eux.
Le but ultime de chaque expédition est d’atteindre et de vaincre le boss de la zone. Chaque run dure généralement entre une et deux heures, ce qui rend l’engagement significatif et ne conviendra pas pour de petites parties sur la pause de midi au boulot. La difficulté du jeu est l’élément central : extrêmement punitif dans ses premières heures, le titre ne fait pas de cadeau et vous fait parfaitement ressentir le danger présent sur l’île. Les combats se déroulent souvent en infériorité numérique, ce qui rend les premières heures frustrantes, car la mort y est omniprésente.
Sur le champ de bataille, vous commandez une escouade de cinq unités maximum sur une grille. Tactical-RPG très classique dans ses composantes, les combats sont au tour par tour, et la planification de votre stratégie est primordiale. Une importance cruciale est donnée aux mouvements et aux positionnements de vos troupes. La vitesse de l’unité détermine sa zone de déplacement. Le positionnement, lui, est vital pour éviter la « zone de contrôle » des adversaires et maximiser les dégâts lors de votre tour.
Les unités peuvent porter deux armes différentes, permettant de s’adapter aux faiblesses des ennemis. Le système repose sur un triangle Arme-Contre-Armure très lisible, affiché en bas de l’écran – haches contre armures lourdes, épées contre armures moyennes et lances et flèches contre armures légères. Contrairement à de nombreux RPG qui utilisent une barre de mana, les compétences actives et les sorts sont régis par un compteur de tours (cooldown). Cela encourage une gestion basée sur l’économie plutôt que sur la capitalisation d’une ressource secondaire.
Les grands ennemis peuvent être mis en déroute (étourdissement gratuit et gros dégâts) en les frappant avec le type d’arme adéquat en un seul tour. Une mécanique « Annuler » permet de rembobiner l’action jusqu’à trois fois par bataille pour corriger des erreurs coûteuses. Plutôt appréciable, au vu de la difficulté des batailles.
Malgré sa profondeur, le jeu manque de certaines fonctionnalités modernes du genre : il n’y a pas d’avantage de hauteur (pas de dénivelé dans la conception des niveaux) ni d’attaques de flanc ou par-derrière, ce qui limite les options de manœuvre. L’interaction environnementale est également basique et très contenue, l’eau vous rend vulnérable à la foudre, par exemple, mais c’est à peu près tout. Il est très dommage qu’il n’y ait pas plus de possibilités d’interagir avec des éléments de décor.
Ce qui rend la difficulté et l’échec acceptables, c’est le système de progression de Lost Eidolons: Veil of the Witch. Après la mort, l’expérience, l’or et l’équipement de la run sont perdus, mais les Braises Sacrées sont conservées. Elles sont dépensées à l’Autel du Feu (un arbre de compétences divisé en trois branches : Attaque, Défense, Divers) pour obtenir des améliorations de statistiques permanentes pour toute l’équipe. Pour augmenter le niveau de l’Autel et débloquer les nœuds les plus puissants, vous devez investir dans les trois arbres, empêchant la spécialisation hâtive. Un équilibrage intéressant donc.
Les Runes, une ressource plus rare, permettent de promouvoir définitivement un personnage. Une promotion augmente les statistiques de base et améliore les compétences de départ. Chaque personnage a trois rangs possibles. Le héros principal bénéficie d’une progression encore plus riche, pouvant débloquer et se promouvoir dans de nouvelles classes apprises auprès de ses compagnons, une fois l’affinité nécessaire atteinte.
Durant les expéditions, vous collectez également des Pierres de Résonance, utilisées pour améliorer l’équipement (armes/armures), conférant de nouvelles capacités spécifiques à l’objet. Et la montée de niveau des personnages pendant une run offre l’accès à des compétences actives ou passives aléatoires (Roguelike oblige). Cela force le joueur à s’adapter et assure qu’aucune run ne se ressemble, favorisant la rejouabilité.
Beauté 2D, terne 3D
La direction artistique de Lost Eidolons: Veil of the Witch présente un contraste frappant entre ses illustrations statiques 2D et ses environnements 3D. D’un côté, les portraits des personnages et leurs illustrations 2D sont magnifiques, uniques et très bien conçus, donnant une identité forte aux héros et aux alliés. Ces artworks de qualité montrent un travail appliqué du studio pour proposer des personnages charismatiques, auxquels nous avons envie de nous attacher.
Et de l’autre côté, les environnements de combat sont un vrai point faible. Les cartes sont simples, fades, souvent d’une grisaille terne – certes typiques des univers de fantasy occidentale – mais très peu inspirées. Le manque de relief et d’éléments interactifs dans le décor contribue à une monotonie visuelle. Pire, une mauvaise gestion des textures et de l’éclairage va parfois jusqu’à nuire à la lisibilité du champ de bataille, rendant difficile la distinction rapide entre amis et ennemis. Sur l’écran de la Switch en mode portable, ces défauts sont accentués, forçant le joueur à plisser les yeux et à maintenir une attention constante. Également, certaines couleurs ressortent moins bien, notamment le quadrillage bleu de la zone de menace, qui se différencie très mal de la grille blanche de déplacement basique.
C’est vraiment très dommage d’avoir une direction artistique aussi bonne pour les artworks des personnages, et de voir ce potentiel littéralement gâché par une 3D in-game totalement impersonnelle, terne, et vide. Nous avons presque l’impression de ne pas reconnaître notre équipe sur le terrain, et donc de jouer les batailles avec plus de détachement que si nous pouvions réellement voir nos personnages préférés. Quel dommage !
Concernant la durée de vie du titre, comme tout bon roguelike, elle est virtuellement illimitée, mais globalement il faut compter une bonne trentaine d’heures pour en voir le bout, et pas loin du double si vous souhaitez tout débloquer. Lost Eidolons: Veil of the Witch propose trois cartes principales à explorer. Ce nombre, couplé à la boucle die & retry, conduit rapidement à une répétitivité des combats et des situations.
Après quelques expéditions, le joueur ne sera plus surpris par l’arrivée des renforts ennemis ou la nature des pièges. Ce sentiment de redite est accentué par l’absence de mode auto-play qui aurait pu accélérer les phases de combat initiales lors des runs répétées, si votre équipe est en mesure de surpasser celle de l’adversaire. Heureusement il reste une option d’accélération de la vitesse des combats par une simple pression du stick gauche, en x2 ou x4. C’est un petit rien, mais c’est toujours appréciable.
Le jeu compense en partie sa répétitivité par des éléments intéressants à découvrir, Il y a neuf personnages jouables à débloquer définitivement, ainsi que des alliés temporaires. Le recrutement des quatre compagnons permanents exige de la patience et la collecte d’informations au fil des expéditions. Et il faudra investir des dizaines d’heures pour visiter toutes les cartes, maximiser l’Autel du Feu, atteindre les promotions maximales de chaque personnage et développer toutes les Affinités du héros principal.
Du point de vue audio, le jeu propose une bande-son tout à fait agréable du début à la fin. Sans être un chef d’œuvre absolu, les musiques sont très plaisantes et dynamisent les combats sans mobiliser vos pensées, vous permettant de rester concentré. Nous avons aussi droit à un doublage des personnages en anglais, ce qui est toujours un plus pour rendre le tout plus vivant.
Lost Eidolons: Veil of the Witch est disponible depuis le 9 octobre 2025 sur l’eShop au prix de 24,99 euros, en français.
Conclusion
Lost Eidolons: Veil of the Witch est un tactical RPG qui offre une expérience de jeu satisfaisante pour les amateurs de défis. Le cœur du jeu, qui marie la gestion minutieuse des positions et des faiblesses au combat avec une progression roguelike constante, fonctionne à merveille. Chaque échec n'est jamais vain, vous récompensant toujours par des ressources pour renforcer votre équipe de manière permanente avant de vous relancer plus fort dans la bataille. La narration est un autre pilier de l'expérience, soutenue par des personnages bien écrits et de magnifiques illustrations. On s'attache rapidement à cette petite bande de survivants, même si les modèles 3D en combat ne leur rendent pas honneur. Le jeu présente tout de même des points de friction non négligeables : une répétitivité des niveaux due au nombre limité de cartes, le manque de complexité environnementale et les dialogues récurrents qui peuvent fatiguer à la longue. De plus, les environnements 3D ternes, contrastent fortement avec la qualité du reste de la production, et l'absence de fonctionnalités modernes comme l'auto-play se fait sentir lors des phases de grind. Malgré tout, le jeu est une bonne surprise qui demande un investissement en temps et une tolérance élevée à la frustration, mais qui récompense la persévérance des joueurs les plus courageux.
LES PLUS
- Une narration solide
- Une bonne direction artistique et des personnages charismatiques…
- Une progression permanente et addictive
- La mécanique « Annuler » bienvenue
- Accélération de la vitesse des combats
- Une excellente durée de vie
LES MOINS
- … Mais qui perdent de leur superbe durant les batailles
- Répétitivité des niveaux
- Des décors vides qui manquent d’intéractions
- Des environnements 3D ternes
- Absence de certaines mécaniques typiques des T-RPG (attaques arrière / flanc)
- Un jeu très difficile mais qui récompense l’investissement du joueur









