Plonger dans Broken Sword – Shadow of the Templars: Reforged (Chevaliers de Baphomet – L’Ombre des Templiers), c’est ouvrir un grimoire ludique. On se retrouve face à un titre fondateur du point-and-click, un pilier vénéré dont la légende a traversé les décennies. Cette version « Reforged » sur Nintendo Switch 2 se présente comme la plus belle et accessible itération du jeu originel de 1996. Mais derrière cette restauration minutieuse, l’âme de ce classique a-t-elle bien vieilli, ou découvre-t-on une aventure figée dans l’ambre ? C’est la question qui nous a taraudés tout au long de cette enquête trépidante à travers l’Europe.
La renaissance d’un classique à l’épreuve du temps ?
On a affaire ici à l’œuvre du studio britannique Revolution Software, restaurée par ses créateurs originels. C’est important de le souligner : ce « Reforged » n’est pas un simple portage, mais une refonte visuelle complète commanditée par ceux qui ont donné naissance à George Stobbart. Il est crucial de noter que cette version se base sur le jeu original de 1996, et non sur le « Director’s Cut » sorti sur Wii et DS. Un choix assumé qui, s’il écarte certains contenus additionnels, revient à la racine même de l’œuvre, considérée par les puristes comme l’expérience la plus aboutie.
On incarne George Stobbart, un touriste américain aussi téméraire que malchanceux, qui se retrouve propulsé dans une incroyable conspiration après avoir assisté à l’attentat d’un café parisien par un clown et son accordéon explosif. Le but ? Survivre, d’abord, puis comprendre. Sa curiosité naturelle et sa rencontre avec la journaliste française Nico Collard l’entraînent dans une enquête haletante qui mêle meurtres, sociétés secrètes et le mystère des célèbres Templiers.
La force de ce scénario réside dans son ancrage historique. On est immédiatement accroché par cette trame qui entremêle fiction et faits réels avec une maestria rare. L’intrigue, pleine de rebondissements, nous transporte de Paris à l’Irlande, puis en Espagne et au Moyen-Orient, maintenant un rythme soutenu sur une dizaine d’heures. C’est un véritable accrolivre interactif ; malgré un début parfois lent, on a sans cesse envie de connaître la suite.
Pour quelques clics de plus
Le cœur du jeu est celui du point-and-click à l’ancienne. On explore des environnements en 2D, on collecte des objets, on discute avec une galerie de personnages hauts en couleur et on résout des énigmes en associant les bons éléments de son inventaire avec le décor.
Sur cette version Switch 2, le mode souris propose un gameplay fluide via les Joy-Con 2, mais aussi l’écran tactile, en plus du contrôle traditionnel à la manette. On déplace un curseur avec le stick analogique gauche et on interagit avec les éléments en appuyant sur A ou Y. Une option de contrôle tactile est également disponible, mais le curseur est si fluide en mode souris qu’on l’a privilégié. Le système de jeu a été légèrement modernisé avec l’ajout d’un système d’indices subtil et paramétrable. Si l’on est bloqué, une option nous souffle doucement la solution après un délai, évitant ainsi de recourir aux guides en ligne sans pour autant gâcher le plaisir de la découverte.
Cependant, une partie du gameplay montre son âge. Les énigmes basées sur les dialogues sont nombreuses et parfois répétitives. Chaque nouvelle information ou objet obtenu nous oblige souvent à refaire le tour de tous les personnages pour épuiser leurs nouvelles options de dialogue. Heureusement, l’écriture est de qualité et parvient à rendre cette mécanique supportable, voire agréable.
Sois belle et tais-toi
C’est sans conteste le grand triomphe de ce « Reforged ». La restauration visuelle est tout simplement magnifique. Tous les arrière-plans, autrefois dessinés à la main puis numérisés en pixels, ont été entièrement redessinés en haute définition. Le résultat est superbe, évoquant un livre d’images animé, avec une richesse de couleurs et de détails qui fait honneur à la vision artistique originale. Les personnages et leurs animations ont également été refaits pour s’harmoniser parfaitement avec ces nouveaux décors. La magie opère : on se sent immergé dans un film d’animation des années 90.
La cerise sur le gâteau ? La possibilité de basculer instantanément entre les nouveaux graphismes et ceux d’origine d’une simple pression sur le stick droit. C’est un coup de génie qui permet de mesurer l’ampleur du travail accompli et de s’offrir une plongée nostalgique en un clin d’œil. Les cinématiques, elles aussi remastérisées, restent captivantes et servent parfaitement le récit.
Ce remaster du titre culte de 1996 bénéficie désormais d’une résolution native 4K (2160p) en mode TV et de 1080p en mode portable.
Si les graphismes sont un sans-faute, la partie audio est, hélas, le point faible de cette restauration. La bande-son originale, elle, est toujours aussi envoûtante et s’accorde parfaitement avec l’ambiance. En revanche, les dialogues n’ont pas eu droit au même traitement de faveur que l’image.
Revolution a choisi de conserver les enregistrements vocaux originaux. Si la performance des acteurs est toujours aussi louable, la qualité technique de ces pistes sonores est désespérément datée. Le son est « cassant », métallique, et semble tout droit sorti d’un lecteur CD des années 90. Le contraste avec la beauté des visuels est, au début, franchement déroutant. On s’y habitue avec le temps, mais le choc initial est réel.
On note également que certains accents et stéréotypes culturels ont mal vieilli. Le chauffeur de taxi syrien aux toilettes exotiques ou le Français cliché peuvent aujourd’hui faire grimper un sourcil. C’est le reflet d’une époque, mais cela peut heurter la sensibilité des joueurs modernes.
Compter entre 10 et 12 heures pour venir à bout de cette aventure. La linéarité du scénario et la nature des énigmes n’offrent pas une grande rejouabilité immédiate. Le plaisir de rejouer résidera plutôt dans la redécouverte de l’histoire après quelques années, ou dans le défi de résoudre les énigmes sans utiliser le système d’indices. Il est important de rappeler que cette version « Reforged », en se basant sur l’original, ne contient pas les chapitres supplémentaires où l’on incarnait Nico, présents dans le « Director’s Cut ». Pour les puristes, c’est un retour aux sources. Pour les nouveaux venus, c’est une version plus courte, mais aussi souvent considérée comme plus cohérente.
Conclusion
Chevaliers de Baphomet – L’Ombre des Templiers: Reforged est une restauration magnifique et respectueuse qui réussit le pari de moderniser un classique sans en trahir l'essence. Le travail sur les graphismes est une pure réussite qui rend l'expérience visuellement envoûtante. Le scénario, intelligent et bien rythmé, reste la colonne vertébrale solide de l'aventure. Pourtant, le voyage n'est pas sans turbulences. La qualité audio datée et certains stéréotypes culturels rappellent cruellement que ce jeu a près de 30 ans. L'expérience sera donc différente selon que l'on soit un vétéran en quête de nostalgie ou un nouveau joueur au regard neuf. Pour ces derniers, ce sera une plongée fascinante et parfois surannée dans les fondations du genre. Pour les autres, ce sera un retour en grâce, un pèlerinage dans un chef-d'œuvre rajeuni. Malgré ses imperfections, la magie de Broken Sword opère toujours : on a suivi George Stobbart jusqu'au bout, avide de percer le mystère des Templiers, et c'est bien le plus important.
LES PLUS
- Restauration visuelle magnifique, décors et personnages entièrement redessinés en HD
- Scénario captivant, riche en rebondissements et ancré dans l'Histoire
- Possibilité de basculer instantanément entre les graphismes nouveaux et originaux
- Jouabilité fluide et adaptée à la console, avec un système d'indices bien pensé
- Une plongée nostalgique réussie pour les fans de l'original
- L’apport du mode souris bienvenu
LES MOINS
- Qualité audio des voix datée et "cassante", en décalage avec le reste du jeu
- Stéréotypes culturels et humour qui ont mal vieilli
- Puzzles de dialogues parfois répétitifs
- Ne contient pas les chapitres supplémentaires du "Director's Cut"
- Rythme parfois lent, notamment au début









