Hercule Poirot, bien que moins connu que le sieur Sherlock Holmes, est l’un des détectives les plus célèbres de notre ère, du moins chez la ménagère de plus de 50 ans qui squatte sa télé H 24 et qui surkiffe grave de pouvoir faire sa sieste tranquille devant sa télé. Mais je m’égare, alors revenons à nos moutons. Hercule Poirot, donc, est le parfait personnage à mettre en scène pour un jeu d’enquête. C’est donc naturellement qu’après le sérieux The ABC Murders, un nouvel opus arrive sur nos Nintendo Switch pour nous permettre de découvrir les origines de ce personnage à la moustache si travaillé. Ce second essai, est-il transformé ? Tout dépendra de vos attentes.
Du visual novel dans le viseur
Agatha Christie – Hercule Poirot : the First Cases va nous emmener découvrir les prémices de la carrière de son protagoniste. Comment, alors simple agent de police dans la belle ville de Bruxelles, il fut amené à la disgrâce et comment il se retrouva muté dans la campagne. Et surtout, comment la première affaire à laquelle il fut confronté dans cette petite ville allait le mener vers le métier qui le rendit célèbre. Sous la forme d’un prologue visant à nous présenter les bases du gameplay, nous allons ainsi conduire l’enquête visant à découvrir ce qu’il est advenu des bijoux de la fille de Mme Van Den Bosh. Cette première mission, et les désillusions qui suivront sa résolution entraîneront Hercule vers la fin de sa carrière dans la police, mais développeront encore davantage sa soif de justice, justifiant son choix de devenir détective privé.
Quelques années plus tard, nous retrouvons un M. Poirot aux portes de la gloire et c’est justement, Angeline, la fille de Mme Van Den Bosh, se souvenant de son incroyable talent, qui va le contacter pour lui fournir sa première véritable affaire dans le grand monde. La suite sera faite, dans la plus pure tradition des œuvres d’Agatha Christie, d’un huis clos mêlant des personnages allant de deux frères turcs à une comtesse en passant par un industriel asiatique. Les meurtres se suivront jusqu’à ce que notre détective finisse par découvrir le fin mot de l’histoire grâce à ses déductions impeccables.
Nous suivons cette histoire de très près, un peu trop d’ailleurs, alors que nous arrivons au manoir, tout le premier chapitre consiste à découvrir quelle chambre nous a été allouée. C’est prétexte, bien sûr, à découvrir, par petites touches, l’atmosphère singulière qui règne dans la demeure ainsi que les conflits qui préexistent entre les acteurs de cette histoire, mais c’est un peu maladroit. Nous nous demandons si le but d’un tel intellect est vraiment de trouver où il va finir par poser ses valises. La suite est bien plus en adéquation avec ce que nous attendons, découvrir un maître chanteur n’en sera qu’un prélude avant une accélération et un dénouement, toujours inattendu.
Nous retrouvons les codes qui ont fait les succès des romans d’Agatha Christie, une haute société imbuvable, des petites mains qui peuvent tant nous en apprendre, une atmosphère de début du 20e siècle tout en retenue et en politesse et un Hercule Poirot qui ne brûle jamais les étapes pour découvrir le fin mot de l’histoire. Les amateurs de la saga littéraire seront aux anges, les amateurs de jeux d’enquête risquent, par contre, d’être un peu plus durs à convaincre et nous allons expliquer pourquoi.
Une enquête qui suit seule sa propre voie
Si Agatha Christie – Hercule Poirot : the First Cases suit les contours de son prédécesseur, The ABC Murders, faits d’exploration, d’interrogatoires et de déductions, il en simplifie aussi nettement les codes, sacrifiant la difficulté et la qualité de la réflexion à la narration. Bien évidemment, nous aurons à explorer les lieux dans lesquels nous déambulerons, mais loin des point’n click dans lequel il fallait déplacer notre souris sur chaque pixel pour éviter d’oublier un objet, ce qui était abusé d’accord, ici, sur chaque objet avec lequel nous pouvons interagir, apparaît très vite une icône. Nous ne loupons jamais aucun indice dans ces phases d’exploration, à moins vraiment de le faire exprès.
Mais même vouloir se tromper volontairement est impossible, le jeu nous guide tout au long de notre enquête à un tel point que la notion même d’enquête disparaît au fur et à mesure. Nous ne pouvons jamais nous tromper dans nos conclusions, les phases d’interrogatoire se réinitialisent si jamais nous n’avons utilisé les bonnes phrases et nous sommes simplement bloqués dans notre progression si nous ne découvrons pas tous les objets nécessaires.
Aucune liberté ne nous est offerte pour mener cette enquête. Nous déambulons dans ce manoir en suivant les indications fournies, que ce soit une pièce à explorer ou des personnages à interroger. Une fois suffisamment d’éléments réunis, nous passons en mode carte mentale, dans laquelle il nous faut relier différents items pour obtenir les conclusions adéquates et faire progresser l’enquête. Ces cartes mentales ne sont jamais trop compliquées. En effet, une fois deux items testés négativement ensemble, ils passent automatiquement en rouge et limitent ainsi petit à petit le nombre de possibilités. Leur présentation à l’écran n’est jamais anodine non plus, et il suffira très souvent de relier les items qui se trouvent côte à côte pour réaliser le bon choix.
Mais même ainsi, les cartes mentales sont parfois peu claires avec des énoncés très proches. Tester l’un ou l’autre ne semble pas forcément faire une grande différence sur le papier et pourtant, seul l’un des deux offrira le résultat escompté. Ce n’est jamais pénible, mais pour un jeu d’enquête, c’est un peu désagréable de ne pas pouvoir s’appuyer sur des énoncés suffisamment précis. Notons pour finir la disparition des jeux de logiques de son prédécesseur, il n’y aura plus de casse-tête pour faire avancer nos recherches. Cela fluidifie davantage notre progression.
La tactique du gendarme
Le studio écossais Blazing Griffin, déjà à l’œuvre avec Murder Mystery Machine, enchaîne son deuxième jeu d’enquête en peu de temps, force est de constater que les défauts inhérents à leur dernière production se retrouvent dans cet Hercule Poirot : the First Cases. En effet, si la narration est intéressante et le système de cartes mentales assez bien ficelé, il faut reconnaître à la technique générale du titre des lacunes assez grandes qui soufflent le chaud et le froid durant la petite quinzaine d’heures nécessaires à sa conclusion.
Mais commençons par les points positifs. Ceux-ci concernent d’abord la maniabilité. Bien que semblant plus adapté à une utilisation clavier/souris, la carte mentale se parcourt assez facilement au stick et la possibilité de zoomer/dézoomer à l’aide des touches ZR et ZL permet une utilisation aussi facile en docké qu’en nomade, où la grandeur de la carte associée à la taille d’écriture demande forcément une mise au point. Celle-ci est possible, c’est parfaitement jouable. Le second point fort concerne la traduction. Entièrement disponible en français, aussi bien dans les sous-titres que dans les doublages, nous assistons à cette aventure dans les meilleures conditions possibles. Sans être éblouissants de passion, les dialogues sont récités agréablement, sans forcer le trait. Chaque personnage à sa propre voix et est identifiable très facilement.
Mais les bons points s’arrêtent malheureusement là. Si The ABC Murders avait adopté une direction artistique plus bande dessinée avec un rendu en cel shading sympathique, Ce Hercule Poirot opte pour une réalisation bien moins originale. Les décors oscillent entre des teintes chaudes et agréables, comme celles de la bibliothèque et des modèles rigides et froids qui dénotent complètement avec le reste. C’est inégal, mais c’est surtout le rendu des personnages qui gêne. Ceux-ci sont modélisés dans une 3d sobre sans fioritures, là encore agréables, du moins lorsqu’ils sont en position fixe. C’est au moment de prendre vie que la douleur arrive. Notre pauvre Hercule Poirot semble se déplacer comme mon arrière-grand-père, paix à son âme, lorsqu’il avait 93 ans. Ayant des vêtements sans doute trop amidonnés, ces mouvements sont d’une raideur inquiétante. Lors des conversations, les visages des protagonistes apparaissent dans un style de Bds bien mieux réussi et leurs émotions s’affichent en accord avec les textes.
Conclusion
Alors cet Agatha Christie - Hercule Poirot : the First Cases est-il un bon jeu d’enquête, la réponse est non. Trop simple et dirigiste, nous n’avons jamais l’impression de mener des recherches qui pourraient échouer. Par contre est-il un bon jeu dans un style ressemblant davantage à ce que propose les visual novel, la réponse est oui. Sa narration, entièrement doublée en français est très bien mené et l’histoire, faite de maître chanteur et de meurtres, propose son lot de rebondissement sans jamais laissé prévoir son dénouement. Son ambiance, très début du 20e siècle est agréable, tout comme les décors dans lesquels nous évoluons. Seule l’animation de notre héros laisse à désirer et nous fera sortir de temps en temps de notre aventure. Pour les fans des romans d’Agatha Christie, pouvoir découvrir les origines de leur détective préféré sera un pur plaisir, tandis que les amateurs de visual novel mâtinés d’enquête y trouveront eux aussi leur compte. Malheureusement, pour les amoureux de Sherlock Holmes, nous ne conseillons pas vraiment le titre de Blazing Griffin tant celui-ci est guidé.
LES PLUS
- L’ambiance, haute société du début du 20e siècle, est bien retranscrite
- La narration est bien menée et il est difficile de prévoir à l’avance la suite des événements
- C’est un visual novel mâtiné d’une enquête intéressante
- Le système de carte mentale, mélangeant observation et interrogatoire, est bien pensé…
- Les codes des romans d’Agatha Christie sont respectés
- La maniabilité s’adapte aussi bien au jeu docké ou nomade
LES MOINS
- Ce n’est pas vraiment un jeu d’enquête
- L’animation d’Hercule Poirot est vraiment rigide
- … mais il est trop facile
- Il est impossible de se tromper