Depuis toujours, la science-fiction est un miroir déformant mais révélateur de nos réalités humaines. Citizen Sleeper premier du nom l’avait brillamment prouvé en 2022 avec une œuvre narrative poignante, proche des classiques du genre comme Blade Runner. Citizen Sleeper 2: Starward Vector, sans faire de bruit, poursuit ce voyage existentiel. Il ne cherche pas à séduire tout le monde. Il parle lentement, il demande de la patience, de l’attention, et surtout, de l’investissement émotionnel. Mais ceux qui lui donnent ces choses seront marqués longtemps après avoir refermé leur journal de bord interstellaire.
Avant de commencer le test, nous tenons à préciser que le jeu ne propose aucune traduction française. Un niveau très bon en anglais est nécessaire pour jouer pour le moment, un patch arrive d’ici la fin de l’année 2025.
Le JDR papier comme fondation
Le jeu est conçu par Gareth Damian Martin, seul aux commandes du studio Jump Over The Age. Il ne s’agit pas ici d’un projet d’équipe massive, mais d’un artisanat numérique, personnel et ambitieux. Après avoir travaillé en solo sur le premier Citizen Sleeper, Gareth revient avec une vision encore plus vaste, nourrie d’influences telles que Firefly, Cowboy Bebop ou les romans de Becky Chambers. L’esthétique douce et inclusive de ces œuvres résonne fortement dans Starward Vector : on y retrouve des thèmes de solidarité, de précarité et d’émancipation face aux systèmes oppressifs.
Vous incarnez un Sleeper, une conscience humaine transférée dans un corps d’androïde. Ce corps est instable, en sursis permanent. Et vous êtes en cavale. La suite du premier opus vous place dans une course-poursuite spatiale suite à une rupture brutale avec un chef de gang. L’enjeu ? Survivre, fuir, bâtir des liens, trouver des ressources, et surtout : ne pas sombrer.
Le scénario se déploie à travers une série de « Drives », des missions personnelles ou collectives qui tissent progressivement un vaste réseau d’intrigues, de choix, et de relations humaines ou artificielles. Le jeu vous interroge constamment : jusqu’où peut aller une conscience pour préserver son intégrité quand son corps n’est qu’une copie fragile ? Peut-on créer une vraie communauté dans un monde qui broie les individus ?
Citizen Sleeper 2 ne ressemble à aucun autre RPG vidéoludique. Il s’inspire de jeux comme Blades in the Dark ou Ironsworn : ici, pas de grinding, pas de loot, pas de combats en temps réel. À la place, des dés.
Chaque journée, ou cycle, vous attribue un nombre de dés en fonction de votre niveau de stress. Chaque action, comme réparer un moteur, négocier un contrat ou secourir un PNJ, nécessite de placer un dé sur une tâche. Plus le résultat est élevé, plus vous avez de chances de réussite, ce qui semble simple à première vue. Toutefois, le jeu ajoute plusieurs éléments complexes :
Le stress joue un rôle crucial, car plus il est élevé, plus vos dés ont de risques de se casser. Si un dé est endommagé ou défectueux, trois dégâts suffisent à le casser. Dans ce cas, vous devrez trouver des ressources pour le réparer, ou vous contenter d’un dé défectueux, qui présente un taux de 80 % d’échec.
Les classes de Sleeper introduisent des particularités. Par exemple, l’Extractor est très fort en physique, mais médiocre en finesse. Il possède un point faible, appelé « dump stat », qui ne peut pas être amélioré et qui entraîne une pénalité de -2 lors de son utilisation.
Les Push abilities sont des actions spéciales qui peuvent vous sauver dans des moments critiques, mais qui ont également le potentiel de vous mettre dans une situation encore plus délicate.
Les contrats sont des missions à durée limitée, qu’il faut accomplir avec deux membres de votre équipage. Si vous faites une erreur ou manquez de préparation, l’échec est inévitable.
Enfin, les crises surviennent lors de certains événements et déclenchent des urgences qui vous imposent de faire face à des pressions sur plusieurs fronts à la fois.
Grande nouveauté du jeu : la gestion d’un équipage. Vous pouvez recruter des personnages au fil de vos explorations. Chacun a ses propres stats et peut être utilisé pour compléter vos lacunes. Mais ce ne sont pas que des outils : chaque équipier a ses dilemmes, ses loyautés, ses trahisons. Il vous faudra choisir qui accompagner, qui rejeter, qui croire.
Cette mécanique apporte non seulement de la profondeur stratégique (avec les dés de vos alliés), mais aussi un nouveau niveau narratif. Une recrue peut changer le cours d’un contrat tardif, car elle connaît quelqu’un. Un autre peut compromettre l’harmonie du groupe. C’est subtil, bien écrit, et ça donne du poids à chaque choix.
Interface et maniabilité sur Nintendo Switch
Pas de soucis majeurs sur Switch. Les temps de chargement sont corrects, les menus lisibles, les contrôles bien mappés. Le tactile aurait été bienvenu pour faire défiler les longs pavés de texte, mais ce n’est pas bloquant. On navigue principalement dans des interfaces type visual novel, avec une carte stratégique et des panneaux de dialogue/action. L’ensemble est fluide et lisible, même sur l’écran portable.
La bande-son fait partie intégrante de l’expérience. Composée de nappes électroniques subtiles et mélancoliques, elle souligne parfaitement l’atmosphère d’errance et d’isolement. Pas de thèmes orchestraux grandiloquents ici : juste une ambiance. Comme une radio spatiale qui grésille doucement pendant que vous essayez de survivre. Les effets sonores sont rares mais bien utilisés, donnant du poids aux interactions clés.
Le style est volontairement sobre. Illustrations stylisées, ambiance néon et interfaces limpides. On est loin de la 3D tapageuse, mais c’est un choix artistique cohérent. Chaque écran est un tableau minimaliste, chaque personnage une figure marquée par l’épure. Le portage Switch tient bien le coup : pas de gros ralentissements ni de bugs majeurs signalés à l’heure actuelle.
Un run complet prend entre 12 et 20 heures, selon votre implication, vos échecs et votre soif d’exploration. Mais là où le jeu brille, c’est dans sa rejouabilité : différentes classes, choix narratifs multiples, fins alternatives, compagnons à recruter ou ignorer… L’envie de refaire une partie est réelle. Et le système de difficulté permet d’ajuster votre expérience de très permissif à franchement brutal.
Comme le premier, Citizen Sleeper 2 parle du gig economy, de la précarité, du contrôle des corps, de la solidarité entre marginaux. C’est un jeu politique, sans jamais être moralisateur. Il vous pousse à réfléchir à ce que signifie “être humain” dans un monde où même votre corps ne vous appartient pas.
Le jeu ne vous ménage pas. Il vous fait échouer, perdre, galérer. Mais il vous laisse aussi la place de construire quelque chose — une amitié, un foyer, une chance.
Conclusion
Citizen Sleeper 2: Starward Vector n’est pas une simple suite. C’est l’affirmation d’une vision de jeu vidéo radicalement différente : lente, littéraire, introspective. C’est un RPG de l’âme, qui remplace les combats par des conversations, les boss par des dilemmes, les lootboxes par des choix déchirants. Il ne plaira pas à tout le monde — mais ceux qui embarquent ne voudront plus redescendre.
LES PLUS
- Écriture puissante et profonde
- Thèmes philosophiques et politiques forts
- Système de dés stratégique et exigeant
- Mécanique de stress innovante
- Gestion d’équipage bien pensé
- Forte rejouabilité
- Direction artistique stylisée
- Bande-son atmosphérique
- Portage Switch solide
- Multiples modes de difficulté
LES MOINS
- Texte uniquement en anglais
- Rythme lent
- Mécanique répétitive
- Pas de support tactile sur Switch