Dès l’écran titre, American Arcadia frappe par son concept fou : un jeu d’aventure narratif qui multiplie les genres et les ambiances pour raconter la cavale d’un homme jugé… trop ennuyeux pour divertir le public. Imaginé et développé par le studio madrilène Out of the Blue Games (Call of the Sea, 2020) et édité par Raw Fury, ce titre se présente comme une expérience « cinématographique », mêlant plateformes 2,5 D, infiltration, phases à la première personne et puzzles logiques, le tout dans un univers rétrofuturiste où les années 1970 flirtent avec la technologie de 2025.
Entre The Island et The Truman Show
Dans la mégalopole sous dôme d’Arcadia, tout n’est qu’apparence : chaque pas, chaque parole de ses habitants est filmé pour les audiences, et la société Walton Media (clin d’œil transparent à Disney) détient un pouvoir absolu : celui de décider qui reste à l’antenne… et qui disparaît. Trevor Hills, 28 ans, est un citoyen modèle : travail de bureau monotone, routine matinale millimétrée, refus systématique de toute invitation sociale. Sa vie, jugée « dangereusement boring », le condamne pourtant à mort : il doit fuir la police omniprésente, guidé à distance par Angela Solano, hacktiviste infiltrée chez Walton Media et membre du groupe Breakout, qui entend dévoiler la corruption du monstre médiatique.
Le fil rouge de l’aventure se déroule en sept chapitres répartis sur environ sept heures de jeu ; chaque acte mêle des passages de plus en plus tendus où Trevor doit enchaîner courses-poursuites, sauts millimétrés et phases d’infiltration à la Limbo ou Inside, sous le regard constant des forces de l’ordre. Les décors, baignés de couleurs saturées – rouge orangé des centres commerciaux, tons pastel des banlieues « idéales », néons d’inspiration 1930‑1950 –, regorgent d’animations de fond : badauds, robots de nettoyage, drones de livraison flottant paresseusement.
Lorsque Trevor se retrouve piégé par un barrage ou un dispositif électronique, vous pouvez basculer en temps réel sur l’écran de surveillance d’Arcadia : Angela prend alors le contrôle à la première personne, affichée en vignette ou en pleine page, et peut hacker portes, caméras, chariots élévateurs et panneaux publicitaires sur les hotspots visibles. Ces passages invitent à résoudre des puzzles de logique : reproduire un faux flux, reconstituer un mot de passe, détourner un bras robotisé pour dégager un passage… Le niveau de difficulté varie : certains puzzles se devinent en un coup d’œil, d’autres – en particulier vers la fin – s’avèrent opaques et nécessitent plusieurs essais, parfois frustrants.
Un trésor narratif
Les moments les plus brillants surgissent quand Trevor et Angela apparaissent simultanément : une moitié d’écran pour guider le fugitif, l’autre pour mener les opérations de sabotage. Ces instants où la coopération solo atteint son apogée rappellent les plus belles scènes de « one-player co-op ». Malheureusement, la fréquence de ces séquences est limitée, et la déperdition de tension par un checkpointing parfois trop généreux – on repart souvent dix ou quinze secondes en arrière – atténue légèrement l’impact dramatique des chasses-poursuites.
La mise en scène, elle, ne faillit jamais : Out of the Blue maîtrise ses plans cinématiques, alternant vue rapprochée de Trevor suspendu à un câble, perspective subjective en vision nocturne ou travelling sur les gratte-ciels sous la pluie. Le low‑poly délibérément minimaliste gagne en expressivité grâce aux jeux de lumière et aux animations faciales stylisées : Trevor Hills, souvent filmé en gros plan, paraît à la fois naïf et déterminé, tandis qu’Angela, dans son appartement jonché d’affiches de jeux de rôle et de manuels d’hacking, affiche une assurance mêlée de nervosité.
La partie sonore renforce l’identité « Disney corrompu » du monde d’Arcadia : violons lyriques et cuivres enjoués inaugurent chaque chapitre, s’assourdissent dans les tunnels sombres, puis s’éclaircissent lors des réussites d’Angela. Les bruitages – cliquetis des terminaux, sirènes de police, échos de bottes dans les couloirs — s’intègrent habilement au mix, même si, parfois, les dialogues couvrent partiellement la musique. Un +1 spécial va au doublage : Yuri Lowenthal (Spider-Man, Sasuke Uchiha) prête à Trevor une voix posée et légèrement traînante, parfaite pour son caractère introverti. Krizia Bajos incarne Angela avec un ton à la fois plein de mordant et de compassion, et Cissy Jones prête sa tessiture grave à l’antagoniste Vivian Walton. À noter toutefois quelques imprécisions sporadiques dans les sous-titres français, qui mériteraient une correction.
Un film ne se découvre qu’une fois…
Côté narration, American Arcadia ne ménage pas ses twists : révélations sur la nature de Walton Media, double-jeu des figures d’autorité, questionnements sur la valeur des individus face aux métriques d’audience. Le scénario, s’il exploite parfois des clichés (le héros banal devenu symbole de rébellion, la corporate corrompue), tient la corde grâce à ses dialogues ciselés et ses clins d’œil à la pop culture — du trentenaire qui louche vers la console abandonnée aux réminiscences de Free Guy, de The Truman Show et de The Fugitive.
Au chapitre de la durée de vie, comptez une demi-douzaine de sessions pour boucler la quête principale. L’absence de scoring ou de défis alternatifs limite la rejouabilité : une fois la vérité exposée et le générique déroulé, le titre n’offre pas de raisons fortes d’y revenir intégralement. On aurait aimé quelques missions annexes à la Angela, quelques puzzles additionnels ou un mode « rebelle » où l’on tente de saboter massivement le flux média.
Malgré ces réserves, American Arcadia délivre une expérience variée et rafraîchissante : son mélange de genres — plateformes, infiltration, hacking, énigmes logiques — s’avère plus cohérent que ne laissait penser la promesse initiale. Les séquences d’action trépidantes alternent avec des moments de réflexion, les environnements 2,5 D dévoilent des secrets visuels quand on prend le temps d’observer, et l’écriture, pleine de verve, ne sombre jamais dans le cynisme gratuit.
Conclusion
American Arcadia est un « entertainment » pop-corn mûrement pensé, qui ne se contente pas de brasser des références superficielles : il les intègre à une satire sociale pertinente sur la réduction de l’humain à un numéro d’audience. S’il ne révolutionne pas chacun de ses genres, il parvient à maintenir l’intérêt de bout en bout et à surprendre par quelques mises en scène audacieuses. Une expérience à consommer sans se poser trop de questions, pour peu que vous aimiez la course-poursuite haletante, la mécanique de hack tactique et les univers rétrofuturistes saturés d’ombres et de néons.
LES PLUS
- Concept original et percutant
- Direction artistique rétrofuturiste
- Ambiance sonore de qualité
- Rythme soutenu
- Mise en scène cinématographique
LES MOINS
- Puzzles inégaux
- Rejouabilité limitée
- Ton narratif parfois déséquilibré
- Ergonomie perfectible
- Moins beau sur Switch que sur PC