Les jeux s’inspirant de l’ère rétro continuent de régner en maîtres sur la scène indépendante, et une niche gagnant particulièrement en visibilité est celle des projets modernes cherchant à répliquer la rudesse primitive des jeux 3D de la cinquième génération de consoles. Il y a un charme indéniable dans cette esthétique brute, et peu de jeux l’incarnent mieux que Labyrinth Of The Demon King, du développeur néo-zélandais J. R. Hudepohl. Ce dungeon crawler sombre et perturbant, fraîchement sorti sur Nintendo Switch, propose un mélange puissant de difficulté, d’action, d’angoisse et d’intrigue, plongeant le joueur dans les entrailles d’un cauchemar féodal japonais.
Un pèlerinage cauchemardesque dans la pénombre du rétro
R. Hudepohl, originaire de Nouvelle-Zélande, est le cerveau quasi unique derrière cette expérience. Labyrinth Of The Demon King porte la marque d’une obsession productive, un projet personnel marqué par une vision artistique singulière et sans compromis. On ressent clairement la passion du développeur pour le Japon féodal et l’horreur psychologique des premiers jeux en 3D, fusionnées ici pour créer quelque chose qui aurait probablement été jugé trop extrême pour le marché des années 90. Le jeu dégage un sentiment d’interdit, de vidéo nasty numérique, résultat d’une création indépendante libérée des contraintes des grands studios.
Nous sommes dans « l’Âge du Dharma », une période inspirée du Japon féodal ravagée par la guerre et la famine, où les démons torturent l’humanité. Vous incarnez un modeste ashigaru (fantassin), seul survivant d’une bataille désastreuse où le Roi Démon a massacré votre armée et votre seigneur lors d’une embuscade mortelle. Votre quête est simple, brutale, et ancrée dans l’honneur bafoué : pénétrer dans le domaine du démon et le tuer pour venger votre maître. Au-delà de cette prémisse de vengeance, l’intrigue reste volontairement minimaliste. Le labyrinthe lui-même devient le narrateur principal, peuplé de créatures grotesques et de personnages ambigus, souvent inquiétants, dont l’assistance sera cruciale pour progresser plus profondément dans les entrailles du château maudit. Des rouleaux dispersés décrivant avec une précision dérangeante les Huit Enfers Bouddhistes ajoutent des couches d’horreur cosmique et de contexte culturel sombre.
Exploration, survie et combat brutal dans un labyrinthe oppressant
Labyrinth Of The Demon King est un dungeon crawler à la première personne qui puise son ADN dans des classiques cultes comme King’s Field de FromSoftware, tout en s’inspirant de l’atmosphère sombre et pesante de Resident Evil ou Silent Hill. Le jeu vous propulse sans ménagement dans son univers hostile et attend de vous que vous trouviez votre chemin avec un minimum d’assistance, après un tutoriel aussi bref que cryptique.
L’exploration constitue le cœur de l’expérience. Le joueur parcourt des donjons interconnectés aux thématiques variées – châteaux, cavernes, zones extérieures lugubres – dans une boucle de gameplay centrée sur la résolution d’énigmes, l’affrontement d’ennemis et la recherche de secrets. Le jeu mise sur la désorientation permanente : les couloirs sont sombres, étroits et uniformes, renforçant la claustrophobie et le sentiment de perdition. La carte, lorsqu’elle est dénichée, demeure rudimentaire et n’indique jamais votre position exacte, ce qui accentue la sensation d’être perdu. Les portes sont fréquemment bloquées ou scellées par des masses de chair palpitante, et les objets indispensables à la progression sont souvent cryptiques. Le jeu est volontairement impitoyable : toute mort renvoie au dernier sanctuaire visité, faisant office de point de sauvegarde, et tous les ennemis réapparaissent aléatoirement, à l’exception de vos ressources consommables comme les soins. Combinée à la lenteur des déplacements, cette approche rend la progression exigeante, voire frustrante, dans une logique de « Die and Retry » brutal assumée.
Le système de combat, quant à lui, repose sur une mécanique de corps-à-corps exigeante, centrée sur le timing et la gestion de l’endurance. Chaque action – attaque, coup chargé, coup de pied, parade, blocage, esquive – consomme une partie de la barre de stamina, qui se régénère très lentement. La plupart des ennemis peuvent vous éliminer en quelques coups, ce qui rend crucial l’apprentissage des contres (qui brisent la garde adverse et étourdissent l’ennemi) et du blocage, qui demande un timing rigoureux, faute de quoi le personnage baisse lentement sa garde. Même les combats victorieux se soldent souvent par des dégâts subis.
Le principal point de friction du système réside dans la gestion punitive de l’endurance. Même un affrontement contre un ennemi de base peut vider entièrement votre barre, vous laissant à bout de souffle face au danger. Dans les confrontations contre plusieurs adversaires, fuir pour tenter de les isoler devient souvent la seule stratégie viable, tant la récupération est lente. Des améliorations permanentes existent, certes, mais elles sont rares et n’atténuent que partiellement la difficulté. Pour beaucoup, ce système devient un frein au plaisir de jeu, créant une frustration jugée artificielle.
Malgré une variété apparente d’options de combat (parade, blocage, coup de pied), nombre de joueurs finissent par adopter un schéma répétitif « coup de pied + attaque », considéré comme plus sûr et plus efficace. Le manque de récompense pour les tactiques plus risquées rend leur usage peu attrayant. De plus, certains ennemis présentent des hitbox frustrantes, notamment les petites lanternes mobiles, et ceux dépourvus d’armes rendent le blocage inutile, imposant l’esquive comme seule option.
Côté énigmes, le jeu propose quelques casse-têtes basés sur la recherche d’objets clés pour ouvrir des passages. Ces énigmes impliquent souvent de nombreux allers-retours à travers la carte, et leur résolution repose sur l’observation et l’interprétation de rouleaux trouvés dans l’environnement. Si leur difficulté varie selon les joueurs, elles demeurent globalement accessibles et servent surtout à renforcer l’immersion et prolonger l’exploration dans cet univers oppressant.
Le poids des années 90
C’est l’un des points les plus controversés du jeu. Labyrinth Of The Demon King capture délibérément la maladresse des jeux 3D du début des années 90, mais cela se paie cher en jouabilité moderne. Les mouvements du personnage sont lents, et surtout, il y a un décalage perceptible (estimé à un quart de seconde) entre l’appui sur une touche et l’action à l’écran (frapper, bloquer, donner un coup de pied). Ce délai rend les réactions aux attaques ennemies, surtout surprises, extrêmement difficiles. L’animation de l’abaissement lent du bouclier après un blocage ajoute une couche de danger. Les combattants aguerris peuvent finir par s’adapter et trouver un rythme (l’importance du coup de pied pour créer des ouvertures sûres est soulignée par certains), mais pour beaucoup, cette maniabilité « archaïque » intentionnelle reste un obstacle majeur à l’appréciation du jeu, transformant des combats déjà difficiles en exercices de frustration. Sur Switch Lite notamment, l’impossibilité d’ajuster la luminosité du jeu (hors réglages système) aggrave la lisibilité dans les environnements sombres.
Si la maniabilité fait tomber la manette, la bande-son est un pilier essentiel de l’atmosphère horrifique. L’audio positionnel est utilisé avec maestria pour maintenir une tension constante :
L’ambiance sonore de Labyrinth Of The Demon King est un élément fondamental de l’immersion. Les bruits environnementaux, comme les grincements, les gémissements, les gouttes d’eau ou les craquements, sont omniprésents et enveloppent constamment le joueur dans une atmosphère angoissante. Les bruits de pas, qui résonnent longuement dans les couloirs étroits, cette tension permanente : difficile de savoir s’ils proviennent du joueur lui-même ou d’un ennemi dissimulé au détour d’un couloir. Régulièrement, des sons étranges, inquiétants et non naturels viennent percer le silence, rappelant qu’une présence diffuse hante les lieux.
La musique, quant à elle, se fait discrète et minimaliste. Quelques notes éparses de cordes ou de cloches se fondent dans le décor sonore, renforçant le réalisme oppressant du jeu. Loin d’interrompre l’atmosphère avec des mélodies trop marquées, cette approche subtile privilégie l’immersion sensorielle et laisse l’environnement parler de lui-même.
La beauté troublante du basse fidélité
Labyrinth Of The Demon King embrasse pleinement et avec maîtrise l’esthétique lo-fi de l’ère PSX pour créer une ambiance visuelle singulière. La direction artistique transforme le labyrinthe en un espace grisâtre, gluant, monotone et profondément oppressant. Les textures en basse résolution et les modèles polygonaux simplistes accentuent l’aspect inhumain des créatures, qui deviennent d’autant plus effrayantes qu’elles sont volontairement abstraites. Selon un testeur, elles évoquent de véritables « masses de polypes horribles », renforçant leur étrangeté et leur caractère cauchemardesque.
Le jeu mise également sur des effets visuels marquants : une granulation cinématique prononcée, des effets de dithering lourds, un ratio d’image 4:3 et des écrans de transition FMV animés – notamment pour les portes – contribuent à installer une atmosphère rétro évoquant le found footage ou les vieilles pellicules de cinéma. Cette patine visuelle délibérément vieillotte participe largement à l’ambiance de malaise et d’inconfort, en parfaite cohérence avec le ton du jeu.
La pénombre constitue un autre élément clé de l’expérience. La visibilité est constamment réduite, forçant le joueur à se reposer sur sa lampe ou à projeter mentalement ce qu’il ne distingue pas clairement. Si cette obscurité accentue indéniablement la tension et la peur, elle peut aussi devenir un obstacle à la lisibilité de l’environnement, notamment sur des écrans plus petits comme celui de la Switch Lite. Dans ces conditions, la navigation peut s’avérer difficile, et les éléments du décor deviennent parfois difficiles à différencier.
Un voyage long et pénible… Pour les plus endurcis
La durée de vie dépend entièrement de votre tolérance à la difficulté, à la répétition et à la désorientation. Le labyrinthe est divisé en quatre zones principales, chacune nécessitant de vaincre un démon majeur pour récupérer une clé permettant d’affronter le Roi Démon. Pour un joueur persévérant et capable de surmonter les obstacles mécaniques, l’aventure principale peut facilement dépasser les 15-20 heures, d’autant plus qu’il faut souvent revenir sur ses pas et réexplorer. Il y a des secrets et des collectibles (armes alternatives, améliorations permanentes) à découvrir, ainsi que des NPC étranges (comme un marchand-chat) à rencontrer, prolongeant l’expérience. Cependant, la frustration générée par la combinaison de la maniabilité, de la gestion punitive de la stamina et des ressources, et de la monotonie visuelle peut conduire de nombreux joueurs à abandonner bien avant la fin, réduisant drastiquement leur durée de vie perçue avec le jeu. Ce n’est clairement pas une expérience pour tout le monde, ni conçue pour être « finie » rapidement.
Labyrinth Of The Demon King est disponible sur l’eShop de vingt euros.
Conclusion
Labyrinth Of The Demon King est un jeu culte en devenir, réservé à une niche très spécifique de joueurs. C'est un hommage authentique et sans concession aux racines sombres du survival-horror et des premiers RPG d'action en 3D, porté par une vision artistique cohérente et perturbante. Si vous êtes un fan inconditionnel de King's Field, que vous chérissez la rudesse des jeux PS1, que vous recherchez une expérience horrifique viscérale et immersive, et que vous avez une tolérance exceptionnelle à la frustration et aux contrôles archaïques, ce labyrinthe vous offrira une aventure unique et mémorable (dans tous les sens du terme). Son ambiance est tout simplement l'une des plus réussies du genre. Cependant, pour le grand public ou les joueurs sensibles à une jouabilité fluide et moderne, à un équilibrage plus accessible ou à une progression moins punitive, Labyrinth Of The Demon King risque fort d'être perçu comme un exercice en frustration pure, un gâchis potentiel où les défauts mécaniques écrasent les qualités atmosphériques indéniables. C'est un jeu qui demande un investissement émotionnel et une persévérance considérable, et qui ne récompensera que les plus endurcis et patients. Empruntez ses couloirs sombres uniquement si vous êtes prêt à en payer le prix fort en nerfs et en temps.
LES PLUS
- Ambiance horrifique immersive
- Design sonore exceptionnel
- Esthétique lo-fi réussie
- Complexité du labyrinthe
- Atmosphère unique
- Narration minimaliste efficace
- Système de combat tendu
- Récompense de l'exploration
- Hommage cohérent aux classiques
LES MOINS
- Gestion de l'endurance punitive
- Maniabilité archaïque
- Difficulté mal équilibrée
- Ressources non renouvelables
- Monotonie visuelle
- Problèmes de lisibilité
- Courbe de progression abrupte
- Design parfois artificiellement contraignant