Dans l’arène surpeuplée des jeux de combat, où les titres modernes rivalisent de polygones et de mécaniques complexes, le retour d’un vétéran de la Neo Geo tel que Rage of the Dragons est un événement. Débarquant sur Nintendo Switch sous le titre Rage of the Dragons NEO, ce jeu, né en 2002 au crépuscule de l’ère arcade 16-bit, n’est pas une simple relique numérisée. C’est une réédition soignée par QUByte Interactive, offrant une seconde vie à un titre au pedigree intrigant et au gameplay exigeant, longtemps considéré comme un classique confidentiel. Plongeons dans les tréfonds de ce combattant ressuscité.
Le retour d’un combattant oublié de la Neo Geo
Le développement original de Rage of the Dragons fut une collaboration internationale peu commune. Du côté japonais, on retrouve Noise Factory, un studio formé d’anciens membres d’Atlus, déjà connu des initiés pour son travail sur des titres de combat en 2D comme le sous-estimé Power Instinct/Matrimelee. Leur partenaire était Evoga, un développeur mexicain pour qui Rage of the Dragons constituait le deuxième projet, avant sa disparition en 2004. Cette alliance improbable donna naissance à un jeu destiné à être une suite spirituelle au Double Dragon (1995) de la Neo Geo, un spin-off de combat du célèbre beat’em up de Technos. Des problèmes de licences empêchèrent cependant l’utilisation officielle de la franchise Double Dragon, conduisant à la création d’un univers propre, bien qu’empreint de son inspiration originelle.
L’histoire de Rage of the Dragons plonge ses racines dans une trame classique mais efficace. Deux frères, Billy et Jimmy Lewis (des analogues évidents aux Billy et Jimmy Lee de Double Dragon), doivent affronter une menace maléfique incarnée par le terrifiant Johann. Leur quête les mène à travers le monde, les confrontant à une galerie de combattants aux motivations et origines diverses. Bien que la narration typique des modes Arcade de l’époque ne soit pas d’une profondeur vertigineuse, elle sert de prétexte solide à des affrontements intenses et donne une identité propre à chaque personnage et équipe canonique.
Un gameplay Neo Geo pur sang avec une touche de tag-team
Rage of the Dragons NEO est, dans l’âme, un pur jeu de combat 2D dans la veine de la Neo Geo de la fin de son âge d’or. Il adopte la disposition classique à quatre boutons, avec des coups de poing et de pied légers et lourds. Les mécaniques fondamentales rappellent immédiatement les grands titres de SNK/Playmore : esquives neutres et parades pour se défendre, roulades d’évasion inspirées de King of Fighters, ainsi que différents types de sauts — grand saut, super saut, petit saut — et dashs dans les deux directions. Le système de jauge « Maximum », quant à lui, se remplit progressivement pour permettre l’exécution de super attaques spécifiques à chaque personnage. Côté combos, si la base est relativement accessible, la vraie profondeur vient de la précision d’exécution et de la capacité à enchaîner efficacement.
La vraie originalité de Rage of the Dragons réside dans son système de combat en Tag-Team temps réel. Dès le départ, le joueur choisit deux combattants. À tout moment du match, il est possible de faire appel à son partenaire pour prendre le relais instantanément, tandis que celui qui sort de l’écran commence à récupérer lentement de l’énergie. Ce système ouvre des possibilités tactiques variées et passionnantes.
Le Duplex System constitue une autre mécanique clé : en exécutant une attaque particulière (HP + HK), un First Impact se déclenche. Si ce coup touche, une série de commandes rapides apparaît à l’écran. Les exécuter avec précision active un combo spécial en cinq coups unique à chaque personnage. Ce combo peut ensuite être prolongé si vous faites intervenir votre coéquipier dans la foulée, amplifiant les dégâts de manière spectaculaire.
Certaines paires préétablies, comme Billy et Jimmy, peuvent aussi effectuer des Team Duplex Attacks, attaques spéciales coordonnées où les deux personnages interviennent simultanément pour infliger des dégâts massifs. Enfin, une mécanique audacieuse permet de sacrifier volontairement un personnage — même déjà KO — pour transférer son énergie restante à son partenaire actif, tout en remplissant instantanément sa jauge Maximum à son niveau maximal.
Entre tradition SNK et innovations tag-team, Rage of the Dragons NEO propose un système de combat riche, nerveux et particulièrement stratégique.
Ce système profond demande du temps et de la pratique pour être maîtrisé, mais il offre une richesse tactique et un potentiel de combo bien supérieurs à beaucoup de titres contemporains.
Accessible en surface, exigeant en profondeur
La maniabilité est typique des jeux Neo Geo. Les commandes sont précises, les mouvements répondent bien. Les joueurs habitués à King of Fighters, Garou: Mark of the Wolves ou Last Blade se sentiront immédiatement en terrain connu. La courbe d’apprentissage initiale est raisonnable grâce aux bases communes. Cependant, la vraie profondeur du jeu réside dans la maîtrise des interactions du tag-team, des extensions de combo via le Duplex System, et la gestion optimale des changements de personnage et de la jauge. C’est là que le jeu révèle toute sa complexité et sa difficulté légendaire.
La Partition du Combat : Une bande-son éclectique et atmosphérique
La bande-son de Rage of the Dragons NEO s’écarte volontairement des compositions orchestrales ou électroniques ultra-bombastiques typiques de certains titres SNK de l’époque (comme KOF 2002). Elle opte pour un style plus éclectique et atmosphérique, avec des influences funk, rock et des ambiances plus « grounded » qui collent bien aux différents décors (du parking au disco en passant par l’église ou le métro). Les thèmes sont généralement bien composés et contribuent à l’immersion sans chercher à écraser l’action. Les bruitages des coups sont percutants et satisfaisants, et les voix des personnages (cris d’effort, noms des attaques) sont dans le ton de l’époque. Le portage inclut même un Jukebox complet permettant d’écouter toutes les musiques et voix du jeu, et une option pour personnaliser la musique du menu principal.
QUByte Interactive a emballé Rage of the Dragons NEO dans une coquille moderne, riche en fonctionnalités, bien au-delà du simple portage. Le jeu propose un mode Arcade fidèle à l’original, permettant de vaincre Johann seul ou à deux. Le mode Versus autorise les affrontements locaux en 1 contre 1 ou en 2 contre 2, et introduit surtout une nouveauté marquante : un multijoueur étendu avec des combats en équipe jusqu’à 5 contre 5, apportant une dimension stratégique et chaotique inédite.
Le mode Entraînement se montre extrêmement complet. Il permet la pratique libre tout en intégrant des listes de mouvements consultables en pleine partie, un compteur de dégâts, ainsi qu’une option d’affichage des hitboxs, idéale pour analyser la portée des attaques. La consultation des movelists est facilitée, bien qu’il faille parfois revenir aux options pour comprendre la légende des touches.
Le mode Dragon’s Challenges propose quant à lui une expérience solo structurée, sous la forme d’un mode Survie découpé en chapitres à difficulté croissante. Côté multijoueur en ligne, le rollback netcode intégré s’est révélé fluide et robuste lors des tests. Toutefois, l’absence de cross-play combinée à la niche du jeu rend les lobbies souvent vides une fois la période de lancement passée.
Le jeu intègre également 35 trophées ou achievements, encourageant les joueurs à explorer chaque mode et personnage. La personnalisation est au rendez-vous avec de nombreuses options : réglage fin de la difficulté, filtres visuels comme le scalage pixel perfect ou les effets CRT, ajustement de la taille de l’écran, activation ou non des murs destructibles dans les arènes, ou encore sélection de la musique.
Enfin, les boss initiaux, dont le colosse Abubo (claire référence à Abobo) et le maléfique Johann, sont jouables, complétant une édition modernisée, ambitieuse et pensée pour les amateurs de versus fighting old school.
La durée de vie est donc substantielle, surtout pour les joueurs motivés à maîtriser le système de combat profond et à relever les défis. La longévité en ligne dépendra malheureusement de la capacité à trouver une communauté active.
Le baroudeur élégant de la Neo Geo
Visuellement, Rage of the Dragons NEO est un témoignage éclatant des capacités de la Neo Geo en fin de vie. Les 16 personnages (incluant les boss) sont superbement dessinés et animés avec fluidité, affichant une grande variété de designs allant du martial (Billy, Jimmy) à l’excentrique (Jones et son afro, Pepe et ses abdos, Pupa l’écolière) en passant par le terrifiant (Abubo, Oni). Les 9 arènes sont détaillées, colorées et dynamiques, avec des décors animés (lanternes qui se balancent, foule qui danse en boîte de nuit…) qui fourmillent de vie. Le style artistique, bien qu’empreint des codes du début des années 2000, possède un charme certain et se situe dans la veine des titres SNK Playmore de l’époque, même s’il n’atteint peut-être pas le niveau d’iconicité absolue d’un Garou: Mark of the Wolves ou d’un SNK vs. Capcom. Le portage préserve cette beauté pixel avec différentes options de filtrage pour satisfaire les puristes ou adoucir l’image.
Rage of the Dragons NEO est disponible sur l’eShop au prix de vingt euros.
Conclusion
Rage of the Dragons NEO est bien plus qu'une simple pièce de musée interactive. C'est la réédition méticuleuse d'un jeu de combat profondément technique et gratifiant, qui méritait amplement une seconde chance. QUByte Interactive a fait du très bon travail en l'habillant d'une interface moderne intuitive et en lui greffant des fonctionnalités indispensables (rollback netcode, options de difficulté étendues, mode entraînement enrichi, affichage des coups en jeu, mode 5vs5). Le système de tag-team en temps réel et le Duplex System restent des pépites mécaniques offrant une profondeur stratégique et un potentiel de combo exaltants une fois domptés. Cependant, son ADN Neo Geo tardif implique une difficulté notoire, même réglée sur "Facile". L'IA est agressive, impitoyable et maîtrise parfaitement les systèmes, ce qui peut décourager les joueurs occasionnels ou ceux recherchant une expérience plus accessible. L'absence de cross-play limite également sérieusement la longévité de son mode en ligne malgré la qualité du netcode. En conclusion : Rage of the Dragons NEO est une réussite pour son public cible : les passionnés de jeux de combat rétro 2D et les joueurs hardcore cherchant un défi technique exigeant et riche en nuances. C'est un hommage bien rendu à un titre qui, malgré son obscurité relative et son arrivée tardive sur une plateforme en déclin, possédait déjà en 2002 les qualités intrinsèques d'un grand jeu de combat. Si vous avez la patience d'apprendre ses rouages et la ténacité d'affronter sa difficulté, vous découvrirez un combattant au charme brut et au gameplay profondément satisfaisant, magnifiquement remis au goût du jour. Pour les autres, des alternatives plus accessibles ou plus populaires dans le catalogue Neo Geo pourraient être préférables. Un solide 7.4/10 pour ce retour réussi d'un dragon longtemps endormi.
LES PLUS
- Graphismes et animations typiques du meilleur de la Neo Geo tardive
- Système de tag-team profond et innovant (Duplex System, changements en temps réel)
- Portage extrêmement soigné avec une multitude d'options et de QoL (difficulté, entraînement, netcode)
- Riche contenu hors-ligne (Dragon's Challenges, jukebox, trophées)
- Roster varié et charismatique
LES MOINS
- Difficulté très élevée
- Lobbies en ligne souvent vides par manque de joueurs et absence de cross-play
- Courbe d'apprentissage abrupte pour maîtriser pleinement la mécanique de tag
- Pas un jeu pour les joueurs occasionnels ou les "button mashers"