Front Mission 3 occupe une place sacrée dans le panthéon des jeux de stratégie au tour par tour (TRPG) surtout chez nous. Premier épisode de la saga à être officiellement localisé hors du Japon sur PlayStation originale, il a marqué toute une génération par sa profondeur tactique, son système de personnalisation de mechas (les « Wanzers ») obsessionnel et son univers crédible et politiquement chargé. L’annonce d’un remake par Forever Entertainment suscitait donc un mélange d’excitation et d’appréhension, surtout après les remakes mitigés de Front Mission 1st et surtout de Front Mission 2, qui a mis des années de correctifs pour atteindre un état « passable ». Front Mission 3 Remake arrive-t-il à préserver la magie de l’original tout en l’adaptant aux standards modernes, ou succombe-t-il aux mêmes écueils ?
Y a-t-il quelqu’un dans l’avion ?
Le remake est développé par Forever Entertainment, un studio polonais spécialisé dans les remakes et rééditions (comme House of the Dead: Remake ou la série Panzer Dragoon). Ils ont déjà supervisé les remakes de Front Mission 1st et Front Mission 2. Bien qu’une équipe différente ait été attribuée à ce troisième opus, l’approche globale et les choix techniques semblent alignés avec leur précédent travail sur la licence.
Front Mission 3 Remake plonge le joueur dans une guerre froide intense entre l’Union Coopérative d’Océanie (OCU) et la République Populaire de Da Han Zhong (DHZ), dans un futur alternatif des années 2070. Vous incarnez Kazuki Takemura, un jeune pilote d’essai de Wanzers japonais, dont la vie bascule lors d’une mission de livraison routinière. Une explosion massive au sein de la Japanese Defense Force (JDF) le propulse au cœur d’une conspiration mondiale impliquant MIDAS, une arme biologique de destruction massive aux effets cataclysmiques (équivalent à une bombe nucléaire sans les radiations).
La force narrative réside dans sa double campagne. Un choix apparemment anodin au début du jeu détermine si vous suivrez le scénario Emma (centré sur la scientifique créatrice de MIDAS cherchant à détruire son invention) ou Alisa (suivant la sœur adoptive de Kazuki, scientifique japonaise impliquée malgré elle). Bien que se croisant parfois, ces deux arcs offrent des perspectives, des personnages et des missions distinctes, doublant presque la durée de vie et enrichissant considérablement la compréhension du conflit et des motivations des factions. Le récit, typique des thrillers géopolitiques des années 90, reste captivant malgré quelques archaïsmes dans le dialogue (un héritage de la traduction originale). Il aborde des thèmes toujours pertinents : la course aux armements, la corruption gouvernementale, la loyauté et le coût humain de la guerre.
L’élément le plus unique et immersif de Front Mission 3 était son réseau internet fictif intégralement simulé (« The Network »). Accessible à tout moment entre les missions, il recréait avec brio l’esthétique et l’ambiance chaotique du web des années 90. Chaque faction, organisation ou personnage important avait son propre site, regorgeant de lore, d’indices sur les mots de passe secrets, de nouvelles sur le conflit en cours, et même de mini-jeux de piratage. C’était une plongée fascinante dans l’univers du jeu, bien au-delà du simple texte. Malheureusement, c’est aussi l’un des aspects les plus maltraités dans le remake (voir partie Graphismes).
Gameplay et tactique : un cœur intact
Malgré les nombreux écueils du remake sur le plan visuel, le gameplay de Front Mission 3 reste remarquablement préservé, conservant l’essence même de l’expérience d’origine. Le système de combat au tour par tour demeure au centre de l’action. Les affrontements se déroulent sur des grilles en 3D isométrique, désormais rotatives pour une meilleure lisibilité, dans lesquelles le joueur déploie une escouade de quatre à six Wanzers selon les missions.
L’une des grandes forces de la série – et toujours présente ici – est la destruction ciblée. Chaque Wanzer est composé de plusieurs parties : tête, corps, bras droit, bras gauche et jambes. Il est possible de viser spécifiquement ces segments, chaque dommage ayant des conséquences stratégiques. Un bras détruit empêche l’utilisation de l’arme qu’il tenait, des jambes endommagées réduisent les déplacements, et la destruction du corps entraîne l’élimination immédiate de l’unité.
La variété d’armes disponibles enrichit cette mécanique. Les fusils d’assaut permettent des dégâts modérés avec un ciblage aléatoire ; les fusils de précision, eux, infligent de lourds dégâts sur une zone ciblée à longue distance. Les lance-roquettes causent des dégâts massifs mais sont limités en nombre d’utilisations. Mitrailleuses et armes de mêlée viennent compléter l’éventail tactique : les premières ciblent plusieurs parties à courte portée, les secondes infligent de lourds dégâts sans possibilité de contre-attaque mais nécessitent un contact direct. Le choix de l’arme adaptée à la situation fait toute la différence.
Le système de compétences, quant à lui, ajoute une précieuse couche RPG. Chaque pièce de Wanzer peut conférer des compétences passives ou actives à son pilote. Certaines augmentent la précision, permettent d’attaquer deux fois, de se soigner en urgence ou de frapper avec plus de puissance. Ces compétences s’activent de manière aléatoire durant les combats et peuvent, une fois déclenchées, être apprises définitivement. Elles sont ensuite équipées via l’ordinateur de bord, dans la limite des emplacements disponibles. Créer des builds personnalisés – comme un sniper expert en démembrement, un tank de mêlée ou un technicien réparateur – devient vite un jeu dans le jeu, riche et addictif.
Une mécanique introduite avec cet opus, et toujours présente, est la vulnérabilité des pilotes. Ceux-ci disposent de leurs propres points de vie et peuvent être blessés ou éjectés de leur Wanzer en cas d’impact violent ou de destruction du cockpit. Une fois au sol, ils peuvent encore agir, bien que très fragiles, ou tenter de capturer un Wanzer ennemi laissé à l’abandon. Cet aspect tactique offre une alternative stratégique précieuse pour récupérer des machines adverses et leur équipement sans frais.
Le système de points d’action, hérité de Front Mission 2, est également conservé. Chaque mouvement, attaque ou activation de compétence consomme des AP, qu’il faut gérer avec minutie pour tirer le meilleur parti de chaque tour. Entre deux missions, le simulateur permet de refaire des affrontements pour engranger de l’expérience et des fonds, pratique pour peaufiner ses stratégies ou tester de nouvelles configurations.
Enfin, la personnalisation des Wanzers est toujours aussi poussée. Chaque élément – corps, bras, jambes, armes de poing, armes d’épaule, boucliers, ordinateurs – peut être modifié. Il est également possible d’ajuster la palette de couleurs de chaque unité. Ce degré de personnalisation ravira les amateurs de min-maxing, qui y trouveront un véritable terrain d’expérimentation tactique.
Globalement, le combat est fluide, stratégique et gratifiant. La difficulté est plus accessible que dans les deux premiers opus, mais le RNG (aléa des cibles touchées et de l’activation des compétences) maintient une tension saine. Les améliorations de qualité de vie sont bienvenues : accélération/saut des animations de combat, rotation de la carte 3D.
Maniabilité, son et durée de vie : un équilibre inégal
Sur le plan de la maniabilité, ce remake marque une nette amélioration par rapport à Front Mission 2: Remake. Les menus de combat se montrent bien plus réactifs, la sélection des cibles est fluide et intuitive, avec un indicateur clair pour celles à portée. La navigation dans les différentes interfaces bénéficie d’un surcroît de rapidité et de confort. Le jeu s’adapte d’ailleurs parfaitement à la manette Switch, offrant une prise en main moderne et efficace, fidèle à l’esprit du système original, mais avec une ergonomie remise au goût du jour.
Côté sonore, les choses sont plus contrastées. Le jeu propose une excellente idée en permettant au joueur de choisir entre la bande originale d’époque, composée par Koji Hayama et Hayato Matsuo, et une version réarrangée. Les deux options retranscrivent avec succès l’atmosphère techno-militaire oppressante typique de la série. Malheureusement, le reste du design sonore ne suit pas. Les effets sonores manquent cruellement d’impact : les explosions sont timides, les tirs mous, et les déplacements des Wanzers trop feutrés pour captiver l’oreille. L’absence de doublage, bien que fidèle à l’œuvre originale, accentue cette impression de vide auditif. À cela s’ajoute un détail technique particulièrement agaçant : le son de défilement des textes continue souvent après l’affichage complet des dialogues, générant un léger décalage désagréable.
La durée de vie, en revanche, constitue un des points les plus solides du jeu. Chaque campagne – que ce soit celle d’Emma ou celle d’Alisa – peut facilement dépasser les vingt heures si l’on se concentre sur les missions principales. Mais les possibilités d’exploration du Réseau, la personnalisation poussée des Wanzers, les phases d’entraînement dans le simulateur et la volonté de mener à bien les deux campagnes font grimper l’ensemble à plus de quarante heures de jeu. Le contenu proposé est conséquent, dense, et offre une excellente rejouabilité pour les amateurs de tactique et de méchas.
Les graphismes : point catastrophique du remake
C’est sur le plan visuel que ce remake s’effondre de façon spectaculaire, trahissant l’essence même de l’œuvre originale. Si le gameplay a été globalement respecté, l’identité artistique, elle, a été sacrifiée, au point de transformer une œuvre stylisée et mémorable en une production fade et impersonnelle.
La direction artistique a perdu toute sa vitalité. Les superbes décors pré-calculés du jeu d’origine, riches en ambiance et en contrastes lumineux, sont remplacés par des environnements en 3D génériques, ternes et mal éclairés. Les angles de caméra, autrefois dynamiques et évocateurs, deviennent figés et sans intérêt. Un exemple frappant de cette dévitalisation artistique est la scène d’introduction emblématique. Dans le jeu d’origine, elle proposait un travelling dramatique sur une ville en ruines accompagné d’un texte en 2D saisissant : « Le désir engendre la folie. La folie s’effondre en désastre. L’humanité n’apprend jamais. » Dans le remake, cette scène est réduite à une animation sans âme d’un Wanzer en 3D, cadrée en 16:9. L’émotion a disparu.
Les portraits des personnages, autrefois illustrés avec un soin remarquable, ont été traités par une intelligence artificielle visiblement peu contrôlée. Le résultat ? Des visages flous, déformés, parfois grotesques. Les cheveux se fondent dans les cous, les expressions sont figées, les détails ont disparu, et de nombreux artefacts visuels apparaissent. Le charme et l’expressivité de l’art original ont été écrasés. Aucune option ne permet de revenir aux portraits d’époque.
Le réseau (Network), un élément central et important du jeu d’origine, subit ici le pire traitement. À l’origine, il s’agissait d’un assemblage riche de pixel art, de photos volontairement basse résolution, de schémas et d’illustrations au style rétro. Dans le remake, toutes ces images ont été remplacées par des visuels générés par IA, avec des résultats absurdes et même grotesques : un homme parlant dans un micro devient un cosplayeur mal conçu arborant une fausse barbe et une bague imaginaire ; un Wanzer détruit se transforme en une scène incompréhensible avec des gens autour d’un hélicoptère ; des diagrammes techniques deviennent des compositions abstraites illisibles remplies de faux textes ; des soldats tiennent des armes qui ressemblent à des appareils photo ; des paysages urbains sont remplacés par des décors fantaisistes sans cohérence. L’interface du réseau, autrefois imprégnée du style web des années 90, est désormais plate, banale, sans identité. Cette dérive numérique détruit l’immersion et trahit le soin méticuleux apporté à la construction du monde original.
Quant aux modèles 3D, ils affichent un niveau de détail supérieur, mais peinent à capturer le charisme et le style des sprites ou des modèles basse résolution de l’époque. Les environnements, pourtant techniquement « modernisés », évoquent davantage une esthétique de début d’ère PS3 / Xbox 360 : textures pauvres, éclairages artificiels, manque d’atmosphère. Les personnages humains dans les cinématiques, quant à eux, semblent figés et inexpressifs, comparables à des figurines de mauvaise qualité. Dans certains cas, même la lisibilité des combats tactiques s’en retrouve affectée.
En somme, ce remake trahit visuellement son héritage : là où l’original brillait par une direction artistique forte et une identité marquée, cette nouvelle version propose une esthétique aseptisée, mal maîtrisée, et parfois franchement insultante pour les fans de la première heure.
Conclusion
Front Mission 3 Remake est un jeu profondément schizophrène. En tant que TRPG Mécha, Il reste excellent. Le gameplay tactique profond, la personnalisation addictive, le système de compétences stimulant et les deux campagnes riches offrent des dizaines d'heures de stratégie satisfaisante. Les améliorations de QoL sont appréciables. Le cœur du jeu bat toujours aussi fort. En tant que Remake, c'est un échec artistique cuisant. L'utilisation massive et incontrôlée d'IA pour traiter les assets 2D (particulièrement dans le Réseau, mais aussi les portraits) a produit des résultats grotesques, incohérents et profondément laids, détruisant l'atmosphère unique et le soin apporté à la construction du monde de l'original. La direction artistique générale est plate, générique et inférieure à la version PS1 sur presque tous les aspects, hormis la résolution d'affichage. Si vous n'avez jamais joué à Front Mission 3 et que vous êtes un fan inconditionnel de TRPG, ce remake vous permettra de découvrir un chef-d'œuvre du genre dans une version fonctionnelle et jouable. La qualité intrinsèque du jeu de 1999/2000 transparaît malgré les défauts visuels. Vous passerez un excellent moment tactique. Cependant, si vous êtes un fan de l'original, attachez-vous à un choc visuel et culturel. La dégradation artistique, particulièrement la profanation du Réseau par l'IA, est difficile à digérer et nuit considérablement à l'immersion et au respect dû à l'œuvre originale. Pour vous, la version originale (PS1, émulation ou réédition digitale si disponible) reste la meilleure façon de vivre l'expérience authentique.
LES PLUS
- Gameplay tactique profond et fidèle à l'original
- Système de destruction ciblée des parties de Wanzer
- Personnalisation extrême des Wanzers et des compétences des pilotes
- Système de compétences (Skills) addictif et gratifiant
- Deux campagnes distinctes et substantielles (Emma & Alisa)
- Durée de vie très longue (40h+)
- Améliorations QoL utiles (accélération combat, rotation carte)
- Choix de la bande originale (originale ou remastérisée)
- Maniabilité améliorée et réactive vs FM2 Remake
LES MOINS
- Utilisation massive et désastreuse d'IA sur les assets 2D (portraits, réseau)
- Destruction visuelle du Réseau (Network) et de son immersion
- Direction artistique globalement inférieure à l'original (décors plats, éclairage fade)
- Modèles 3D de personnages humains laids et rigides
- Environnements 3D génériques et manquant de détails
- Perte de l'identité visuelle et de l'ambiance de l'original
- Lisibilité tactique parfois entravée